Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/57

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Le foyer des artistes de l’Opéra était, à cette époque, fréquenté par les hommes sérieux, les penseurs graves et les orateurs politiques ; ils venaient chercher là un peu de distraction après les soucis du jour, et, comme ils le disaient eux-mêmes en style mythologique du Directoire, ils venaient prier Therpsichore de leur faire oublier Minerve jusqu’au lendemain.

Le lendemain, tous ces hommes graves reprenaient Minerve, et les rouages du Directoire fonctionnaient très-bien.

Donc, en voyant entrer Lagarde et Moulin, les lettrés du foyer s’empressèrent autour d’eux pour demander si Souvaroff, vainqueur de Masséna, était entré en France par la frontière suisse, après une revanche de Zurick.

— Oh c’est plus grave dit Moulin.

— Beaucoup plus grave dit Lagarde.

Et ils saluèrent mademoiselle Saulnier, qui leur répondit par une arabesque.

— Comment dit Saint-Ange, plus grave qu’une défaite ! mais qu’est-il donc arrivé ?

— Une séance des plus orageuses, dit Lagarde.

— Oh ! nous sommes habitués aux séances orageuses depuis dix ans ; vous n’en faites pas d’autres, remarqua Mallet-Dupan.

— Celle-ci est plus orageuse que les autres, reprit Lagarde. On a donné lecture d’une dépêche qui annonce… devinez ?… qui annonce que le général Bonaparte va s’emparer des Indes.

— Eh bien ! tant mieux, dirent les lettrés frivoles.