Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/58

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— Le cachemire se vendra au prix de l’indienne, dit la danseuse ; ça m’arrange.

— Ah ! vous prenez la chose ainsi, dit Moulin ; vous ne voyez donc pas les conséquences ? Les principes périssent !

— Mais les colonies ne périssent pas, dit Saint-Ange.

— Comprend-on cet excès d’audace, poursuivit Moulin ; un général qui s’avise de prendre les Indes sans y être préalablement autorisé par le Directoire !

— Bon ! dit Mallet-Dupan, Moulin ne parle pas sérieusement.

— Tu vois juste, reprit Moulin ; nous avons soutenu le général Bonaparte, Lagarde et moi. On nous a traités de réactionnaires. Le plus furieux, c’est Gohier.

— Ah ! parlez-nous de Gohier, dit le chœur dès lettrés.

— Gohier a fait un discours superbe ! ajouta Moulin.

— Être suprême ! s’écria comiquement Mallet ; on fait donc encore des discours ?

— Oui c’est une mode anglaise que les émissaires de Pitt et Cobourg ont fait naturaliser en France. À Londres, les discours sont innocents, le peuple ne les écoute pas ; à Paris, il les écoute trop.

— Et qu’a dit Gohier dans son discours ? demanda Mallet.

— Il a prouvé que le général Bonaparte n’a pas le droit de prendre les Indes ; que le général Bonaparte n’a pas le droit de dire que le sort du monde est dans la tour de Saint-Jean-d’Acre, le sort du monde étant exclusivement dans les mains du Directoire exécutif, et non ailleurs. (Vifs applaudissements.) Nous n’avons pas applaudi, nous. Gohier a essayé ensuite de prouver que les Indes étaient un préjugé ; qu’il n’y avait