Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/59

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aucune espèce d’Inde ; qu’il n’existait, sur la terre, que les frontières du Rhin. (Applaudissements prolongés.) Enfin, il fallait conclure…

— Ah ! oui, voyons ! Qu’a-t-il conclu ? demanda le chœur.

— On n’a rien conclu, poursuivit Moulin ; une proposition a été faite ; il s’agit d’envoyer deux commissaires à Madras, à Lahore, à Calcutta, à Bombay, pour arrêter le général Bonaparte.

— Je ne voudrais pas être ces deux commissaires, remarqua Saint-Ange.

— Moi, poursuivit Moulin, j’ai proposé à Gohier de se nommer lui-même commissaire, et d’aller arrêter Bonaparte à Ceylan. C’est si aisé !

— Et que dit Siéyes ? demanda Mallet.

— Il attend.

— Oh ! lui, il attend toujours !

— Siéyes, reprit Moulin, est étourdi du coup ; c’est une tuile de pagode qui lui tombe sur la tête. Siéyes prend des airs distraits ; il ouvre souvent son mouchoir et sa tabatière ; il prise symétriquement ; il a l’air de s’occuper beaucoup d’un rhume qu’il n’a pas. Bonaparte aux Indes ! se dit-il dans un monologue ; y a-t-il chance de succès ? Si j’étais sûr de la réussite, je célébrerais aujourd’hui même l’entreprise ; mais il y a un grand doute ; abstenons-nous, et soyons enrhumé.

— Ah ! c’est un grand politique, Siéyes ! dit Mallet ; tout le monde connaît son procédé ; personne n’est dupe, et pourtant il réussit toujours, ce grand politique…