Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/6

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française, née d’hier, et plus riche que la frontière du Rhin.

Il y a un curieux conte de Pan-Ho-Peï, surnommée la Savante, conte qui est une histoire peut-être, puisque tant d’histoires sont des contes, et qui fera sourire les graves mathématiciens de l’Observatoire. Le Tien créateur, dit cette savante, n’a pas fait un monde borgne ; il a créé deux lunes pour la nuit, et si nous n’en voyons qu’une à présent, c’est que l’autre est tombée sur la terre, avec ses habitants, dans un tremblement du ciel. La Chine est cette autre lune qui empêchait le monde d’être borgne ; mais elle n’a pas oublié son origine céleste ; elle ne se mêlera jamais, comme sa sœur, aux affaires d’ici-bas ; elle se contentera d’éclairer de loin, par sa lumière, les hommes des pays ténébreux.

Je ne crois pas aux savants, mais je crois aux savantes. Les vieux Gaulois étaient du même avis. Or, cette illustre Chinoise pourrait bien avoir raison, même contre M. Leverrier, l’inventeur des planètes invisibles. Jusqu’à ce moment la Chine a joué sur la terre le rôle de seconde lune : elle nous a lancé des aérolithes de porcelaine, mais sans nous montrer ses mains. Nous l’avons regardée de loin avec des télescopes ; nous avons fait sur elle une foule de contes lunatiques ; nous nous en sommes servis comme d’un hochet pour amuser notre vieille enfance, et voilà que tout à coup la planète murée s’ennuie de son rôle de lune cénobite, elle se gratifie d’un cinquième quartier, elle se fait terre et donne ainsi raison à ce verset du poëme de la Cigale, du même auteur femme : Comme tu nous regardes, là haut, avec tes grands yeux de hibou, lune mélancolique ! Je devine ta pensée. Tu t’ennuies toute seule ; tu voudrais descendre parmi nous pour assister