Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/65

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par des intérêts communs, composaient la plus étrange et la plus formidable des armées. Presque tous ces guerriers avaient conservé l’arc et la flèche, comme aux batailles de Noor-Jehan et de Jehangire, et ces armes étaient terribles dans leurs mains[1]. On les voyait descendre comme des torrents de bronze fluide, du haut des montagnes, sur les vallées et les plaines, avec l’intention évidente de couper à l’armée française les routes d’Hyderabad et de la refouler à la mer. Les chefs, montés sur des éléphants, régularisaient le désordre de cette multitude, en agitant des guidons rouges au sommet de ces animaux. Derrière les premières lignes, le gros de l’armée, fidèle sans doute à d’antiques instructions de guerre, se dessinait en phalange macédonienne, et ressemblait de loin à une immense pyramide d’airain, renversée sous le choc des éléphants, qui la tenaient immobile sous leurs pieds, arrondis comme des tours.

Le paysage de cette solitude avait gardé le caractère sauvage et sublime des premiers jours de la création. Les montagnes, les collines, les plaines, les torrents, les rivières, se confondaient, sous des perspectives infinies, en faisant éclater partout de gigantesques massifs d’arbres séculaires, ou en s’émaillant sur les terrains unis, d’un tapis éblouissant de fleurs inconnues ou d’euphorbes, de cactus, d’aloës, de nopals, de roseaux et d’une foule de plantes vigoureuses, que le soleil d’un jour dessèche et que la rosée d’une nuit rend au soleil du lendemain, avec une prodigalité inépuisable, pour embellir un désert.

  1. On peut lire ces guerres du Penjaub et de l’Afghanistan dans l’histoire si curieuse d’Hugh Murray, Historical account of british India.