Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/66

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Un large torrent, tombé des cimes du Néhoul, stagne dans la plaine et forme une vaste presqu’île dont le terrain rocailleux domine sur trois points des berges escarpées, et trois fossés naturels remplis d’une eau profonde. C’est là que Bonaparte a retranché ses soldats comme dans une place forte. La langue de terre qui lie cette presqu’île à la campagne est défendue par une batterie toute couverte de feuilles d’aloës. Murat est à la tête de la cavalerie ; Junot commande son escadron de dromadaires ; Kléber et Desaix doivent diriger les mouvements des fantassins. Eugène et Berthier chevauchent à côté de Bonaparte. Le soleil indien se lève et révèle aux soldats d’Occident toutes les merveilles de cette nature puissante, qui va devenir, après la victoire, leur mère d’adoption.

« Soldats, dit Bonaparte, à la nouvelle de notre expédition, le roi du Mysore, notre ami, a espéré en nous, et ses ennemis marchent à travers le Bengale pour nous combattre et nous arrêter. Il faut d’abord vaincre cette horde de barbares, et dans quelques jours, nous serons à Hyder-Abad, sur la riche terre de Golconde. Cette journée verra la bataille de la barbarie contre la civilisation ; notre canon va faire écrouler les portes de bronze de l’Inde ; elles ont résisté à la lance d’Alexandre, elles tomberont devant vous. Sous vos regards, Dieu étale en ce moment un splendide échantillon des richesses du monde nouveau qu’il vous destine. Soldats, faites encore une œuvre digne de ce soleil qui vous regarde, et l’Orient est à vous ! »

Et appelant Eugène, Bonaparte lui dit :

— Donnez mes ordres partout aux chefs de corps. Ces Indiens défendent leur pays. Ils sont dans leur droit. Nous