Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/67

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sommes dans le nôtre aussi en nous défendant. Laissons-nous attaquer par eux. Ne faisons pas feu les premiers.

Eugène partit, et Murat accourut au galop et dit à Bonaparte :

— J’attends vos ordres pour prendre la charge ; ce ne sera pas long. Ces Indiens sont dans l’enfance de l’art…

— Joachim, lui dit Bonaparte, le nombre est toujours une force. Ils sont là plus de cent mille, tous braves et fanatiques. Cent mille hommes résolus à se faire tuer pour leur pays et leur religion sont toujours dangereux. Si nous voulons les vaincre, ne les méprisons pas. Attendez mes ordres, Joachim.

Murat s’inclina devant cette parole de sagesse et courut reprendre son rang de bataille. En passant devant Kléber, il lui dit :

— Décidément ce Bonaparte est plus grand que nous.

— Je te l’ai déjà dit, répondit Kléber ; son plan de bataille est compris. Un général ordinaire se serait laissé envelopper. Il connaît toujours son terrain, lui, même dans les pays qu’il ne connaît pas. On dirait qu’il a fait construire cette presqu’île, la nuit dernière, par des ingénieurs.

— Quel beau champ de bataille reprit Murat on dirait qu’il l’a fait construire aussi ; voilà des ennemis superbes à voir ! des monstres demi-nus, avec toutes les nuances du bronze ; il semble que nous allons nous battre avec les gens de l’enfer ! À la bonne heure ! voilà du nouveau ! J’étais ennuyé des uniformes grotesques de nos ennemis du Nord ; avec leurs habits absurdes, un tableau de bataille est une caricature épique passée au sang. Nous avons un jeune pein-