Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/70

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la découverte ; le secret de la presqu’île était trahi ; une phalange massive dirigea sa pointe vers la langue de terre, et le sol tremblait sous les pas réguliers de tant d’hommes, précédés par une légion d’éléphants, qui ouvraient un passage, en trouant, avec leurs défenses et leurs trompes, les masses inextricables de verdure dont se hérissait le désert. Bientôt le seul chemin de la presqu’île fut envahi et disparut sous une marée montante de bronze animé ; une confiance superbe entraînait les Indiens vers ce mystère irritant, couvert par les grands arbres, et redoutable encore par son silence ; les premiers éléphants allongeaient déjà leurs trompes sur le premier retranchement, que voilait un amas ténébreux de tiges et de feuilles d’aloës. Les cris avaient cessé. On entendait un bruit sourd, semblable à l’ondulation d’un tremblement de terre, et le chant d’une multitude d’oiseaux, seuls habitants de ces déserts depuis le jour de la création.

Tout à coup l’artillerie éclate comme le tonnerre de l’Occident, et enseigne un fracas inconnu aux échos de cette solitude ; les premiers éléphants répondent par des mugissements sourds, et, saisis d’une terreur folle, ils se replient sur la phalange indienne et roulant, comme des blocs de rocher, écrasent tout sur leur passage et portent le désordre dans les rangs. Les clairons sonnent la charge. Murat se dresse de toute sa hauteur sur son cheval, fait tournoyer son damas, fait luire mille éclairs au soleil, se précipite sur les brèches ouvertes par les éléphants, et entraîne ses cavaliers, comme un vol d’hippogriffes ; les tambours battent ; les fanfares jouent l’air de la Caravane ; l’armée crie Vive la France ! aux frontières de l’Inde ; les artilleurs emportent les canons