Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au galop : Junot s’élance avec son escadron de Syrie, comme au Mont-Thabor ; Kléber et Desaix ébranlent les bataillons des fantassins ; Bonaparte rayonne partout, et montre, de la pointe de son épée, les deux plus grandes choses de l’Asie : le soleil et le Bengale, comme pour dire à tous : Votre guide est là-haut, et votre conquête est là !

Il y eut sans doute, — et Bonaparte l’avait prévu, quelque chose de surnaturel dans cette presqu’île endormie sous son ombre et son silence, et qui, soudainement réveillée, vomissait sur la route de l’Inde, ces bataillons, ces cavaliers, ces artilleurs qui renversaient les éléphants sur les angles des phalanges, et couvraient de cadavres cette solitude où le sang humain n’avait jamais coulé. On aurait dit que l’armée d’Occident avait le pouvoir d’emprunter au ciel le secret de ses orages en se voilant d’une nuée sombre et morne, pendant quelques heures, en la déchirant ensuite avec ses éclairs pour laisser tomber partout la foudre et la mort. Les Indiens fuyaient en désordre du côté des montagnes, et leurs chefs, emportés par leurs éléphants vers les forêts de l’horizon, ne pouvaient plus donner leurs ordres ou arborer les signaux. L’artillerie légère suivait dans son vol tous les sillons de terrain uni, et remplissait le désert de ses éclats et de son épouvante ; Murat et Junot, lancés à la poursuite des Indiens, auraient franchi les limites des antiques royaumes de Porus, si le tambour ne les eût rappelés sur les rives de la presqu’île, au moment où Bonaparte disait à ses généraux :

— Nous ne demandons pas une victoire complète, mais un passage libre. Il faut prodiguer la terreur et épargner le sang. Ces ennemis, nous ne les reverrons plus. La route du