Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/72

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Bengale est dégagée. En avant, soldats nous nous reposerons dans Hyder-Abad !

La formidable armée avait disparu derrière les crêtes, dans les profondeurs des bois et le creux des vallons ; on apercevait encore, dans des massifs de roseaux troués par l’artillerie, quelques éléphants libres qui semblaient réfléchir avant une détermination, et paraissaient disposés à changer de maîtres. Sur les hautes cimes des arbres, on voyait passer des nuées d’oiseaux multicolores, qui, pour la première fois, cherchaient des abris contre un danger inconnu ; et, aux approches de la nuit, on entendit, dans les jungles, des murmures rauques, qui étaient comme les protestations des races félines contre les envahisseurs de l’Occident. De nouveaux maîtres arrivaient sur le domaine des bêtes fauves ; la solitude allait se peupler ; la terre féconde allait s’ouvrir aux semences ; le soleil promettait ses sourires à la moisson. Un drapeau tricolore flottait sur la cime du plus haut palmier, comme sur la tour d’une citadelle, et annonçait que la France prenait possession de l’Asie, et que Bonaparte, par une victoire, obtenue sans verser une goutte de sang chrétien, venait de fonder l’empire du soleil !

On ne s’arrêta pas sur ce champ de bataille ; on se remit en marche le même jour, après l’obstacle vaincu. Nos soldats trouvèrent bientôt devant eux une de ces anciennes routes indiennes, pavées de briques, œuvre d’une civilisation inconnue ; ils marchaient, d’un pas résolu, sous des voûtes de boabdabs, aux bords d’un fleuve sans nom, tous heureux et fiers d’avoir franchi la zone d’Alexandre, et de conquérir un monde convoité par le plus intrépide et le plus