Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/77

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jalousie vengeresse de ceux qui n’en rendent jamais ! Aujourd’hui, en présence du tableau de la puissance anglaise de l’Inde, œuvre gigantesque et indestructible, accomplie avec l’acharnement du patriotisme insulaire, on demeure confondu d’admiration devant le génie de ce Dupleix, qui avait rêvé pour la France ce que l’Angleterre a réalisé ; de ce Dupleix qui a fait créer une compagnie française des Indes ; qui a compris avant tout le monde la véritable question d’Orient ; qui voulait sauver la monarchie en péril, et distraire patriotiquement les esprits par l’émouvante diversion des conquêtes du Bengale.

À cette admiration pour Dupleix vient, par malheur, se mêler aussi un profond sentiment de tristesse rétrospective, lorsqu’on songe aux obstacles, aux injustices, aux jalousies que ce grand homme a rencontrés sur son chemin, depuis le jour où il entrait triomphalement à Madras, comme le roi du Coromandel. Cette conquête, qui ébranlait le Bengale et consternait nos ennemis d’alors, effleurait à peine les oreilles des hommes d’État de Paris ; on avait bien autre chose à faire ! On lisait Candide ; on apprenait par cœur les vingt-quatre chants du poëme anti-national, qui flétrit la vierge d’Orléans, victorieuse des Anglais, et les Titans philosophes bâtissaient les assises in-folio de l’Encyclopédie pour monter au ciel et détrôner Dieu ! Quant à la compagnie française des Indes, elle tracassait Dupleix en toute occasion ; elle enchaînait ses mains, elle l’abreuvait de calomnies, elle le forçait à quitter l’Inde pour venir se défendre à Paris ; enfin, elle se tuait elle-même pour ôter généreusement toute concurrence à sa naissante rivale la compagnie anglaise, qui s’apprêtait à