Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/78

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fonder à Calcutta le Londres de l’Inde, à canaliser la Tamise dans le Gange, à fonder l’Angleterre du soleil, depuis les cimes de l’Himalaïa jusqu’à Ceylan, depuis la terre australienne de Carpentarie jusqu’à l’île de Diemen !

Devant Saint-Jean-d’Acre, Bonaparte songeait à toutes ces choses, et son ambition était de réparer tant de fautes commises, et de continuer l’œuvre de Dupleix, avec une armée puissante, seule véritable compagnie française des Indes ; le jeune héros comprenait ainsi la question d’Orient, en l’étendant sur les échelles du monde : comme Dupleix, il voyait clair dans l’avenir, et il tenait dans ses mains une épée qui mettait en lambeaux tous les protocoles de la diplomatie, feuilles sibyllines emportées par le vent. Bonaparte est arrivé comme un légataire légitime pour recueillir l’héritage de Dupleix ; il montre à ses soldats la jeune ville indienne, avec ses rues de jardins, hérissées de palmiers ; ses places publiques, habitées par les fleurs colossales ; ses avenues solitaires où les sources d’eaux vives imitent la voix d’un peuple absent. C’est la ville de la victoire de Dupleix ; elle attendait au désert la France voyageuse, et ses ruines, étalées au soleil, depuis le départ du fondateur, semblaient se réjouir à l’ombre du drapeau d’Occident. On se met à l’œuvre ; on remue ces pierres oisives ; on creuse des canaux à ces sources ; on couvre de toits ces murs crevassés ; on chasse les bêtes fauves, locataires usurpateurs ; en moins de temps qu’il n’en faut pour planter un camp, on bâtit une ville, grande hôtellerie française du Bengale, à l’enseigne de Dupleix.

Pendant cette halte, un de ces courriers indiens qui traversent le Bengale, en s’abandonnant au cours des fleuves,