Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/80

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mahratte. La rivière coulait dans la solitude et le silence, entre deux haies d’arbres séculaires, dont les branches couvraient les tiges et flottaient sur les eaux. Le lieu du passage avait été bien choisi ; une île de verdure y partageait la rivière en deux courants étroits, qui furent franchis sur deux ponts, formés avec des abatis d’arbres géants. Les Indiens auxiliaires marchaient en avant-garde ; ils avaient la connaissance du pays et des terrains, et nous rendaient ainsi les mêmes services que leurs pères avaient rendus aux soldats de Dupleix. Rien n’était perdu, pour la France, des bonnes traditions indiennes. Le Bengale semblait ressusciter nos vieux amis du Dékan.

On gravit ensuite une colline qui est comme un orteil des hautes montagnes Golconde, et on établit le campement de nuit sur un plateau qui domine les vastes et fertiles plaines de Kurnool.

Au lever du soleil, Bonaparte, plus grand qu’Annibal montrant l’Italie du haut des Alpes, montra aux Français les magnifiques domaines étalés sur la pointe de la presqu’île.

« Nous sommes entre deux mers, leur disait-il ; à notre gauche, le golfe du Bengale, à notre droite, la mer Arabique. Ici, Mazulipatnam et Madras ; là, Surate et Goa ; vis-à-vis le Mysore, à nos pieds les mines de pierreries ; autour de nous les réservoirs de corail et de perles ; le soleil partout ! »

Et l’armée française, plus heureuse que l’armée carthaginoise, saluait par des cris et des fanfares cette Italie de l’Inde, dont les peuples étaient déjà ses amis. On ne voyait pas, en ce moment, ce froid enthousiasme qui éclate dans les con-