Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quêtes vulgaires, aux bords des sables glacés du Rhin, ou sur les steppes moscovites, ou sur les sites plats du Danube ; nos soldats respiraient un air puissant, l’air d’un monde nouveau ; ils entendaient les voix des deux mers, qui baignaient de caresses les lèvres du Malabar et du Coromandel ; ils voyaient surgir, du milieu des arbres et des fleurs, les coupoles des temples, les tours des pagodes, les montagnes sculptées, les monuments d’une civilisation superbe, enfouie dans des abîmes de verdure, avec ses dieux de granit, ses portes de bronze, ses poëmes de marbre, et les sculptures émouvantes de ses mystères et de ses dix incarnations.

Voilà des conquêtes dignes de l’homme ! Devant ces merveilles de la nature et des arts, l’épée sort d’elle-même du fourreau, le soldat se sent fier de sa profession, le conquérant met à son front une auréole, la bataille est une œuvre sanctifiée par le dieu des armées, la vie est une récompense du ciel, la mort est le glorieux martyre de la civilisation !

Bonaparte avait dit :

« Si mes calculs sont exacts, nous rencontrerons l’armée anglo-mahratte une heure après le lever du soleil. »

Les calculs étaient justes. Du haut de la colline où elle avait campé quelques heures de nuit, l’armée française vit luire des armes dans les clairières des bois de Kisnash, et bientôt toutes les forces de lord Cornwallis se révélèrent à l’horizon.

Cet obstacle attendu couvrait la route du Mysore, il fallait le vaincre pour sauver Typpoo-Saïb. Les Anglais hasardaient, à cette époque, une tentative pour conquérir l’Inde, mais, quoique leurs marins soient excellents et intrépides, on ne