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dans toute la salle. Ce contraste entre ces strophes d’une sentimentalité niaise à dessein et la fumisterie d’une annonce commerciale, le tout débité avec un flegme imperturbable et souligné d’un geste hélicoïdal toujours le même, était bien la chose la plus drôle qu’on puisse imaginer.

Puis ce furent les Fœtus, le Clysopompe, la Chanson du capucin. Dès ce jour, il fut célèbre dans les fastes du quartier latin et ses monologues y firent fureur.

Ce n’est pas que le bagage littéraire de Mac-Nab soit très étendu : les deux volumes des Poèmes mobiles et des Poèmes incongrus, une opérette, Malvina Ire, en collaboration avec le compositeur Hireleman, une thèse burlesque de doctorat, et c’est tout. Mais la plupart de ces morceaux portent l’empreinte d’une gaieté si franche et si originale sous des dehors parfois macabres qu’ils décidèrent une véritable popularité. L’indépendance lui manquait pour produire beaucoup. Tenu, de par son emploi de commis des postes qu’il ne voulut jamais quitter, par déférence pour sa famille, à consacrer le plus clair de son temps à une besogne prosaïque et exténuante, il n’écrivait que par raccroc, quand l’inspiration venait ; et ce serait miracle que cette fille de l’Idéal put descendre dans ces arrière-boutiques sombres, humides et malsaines, que sont les bureaux de poste parisiens.

Mais tout s’écoule, tout se transforme : c’est la loi de nature ; un beau jour, on apprit que les poètes, Goudeau en tête, avaient émigré à Montmartre, où les attirait l’auréole naissante du Chat Noir. Désormais les Hydropathes n’étaient plus qu’un souvenir ; mais le Phénix renaissait de ses cendres dans la petite salle de l’Institut du boulevard Rochechouart, où seuls les initiés étaient admis. À Rodolphe Salis, limonadier de génie, revient l’honneur d’avoir su grouper une véritable élite de poètes et d’artistes, en mettant à leur disposition un lieu de réunion pittoresque et les colonnes du journal le Chat noir, dont le succès allait de jour en jour en grandissant. Le nombre ne se compte plus des artistes lancés par le Chat Noir. Willette, Steinlen, Caran d’Ache y publièrent leurs premiers dessins ; Mac-Nab, d’Esparbès, Rameau, Masson, Denudy, etc., leurs meilleurs vers. Il y avait là un échange de bons procédés, une collaboration bien comprise, et tandis que ceux-là conduisaient le patron à la fortune, celui-ci les conduisait