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IX

LE BAR DU « POISSON SEC »


Le bar du « Poisson sec » n’était fréquenté, avant la guerre, que par des navigateurs de basse catégorie. La fleur des équipages marchands ne s’y donnait pas rendez-vous, et beaucoup de noctambules rouennais ignoraient l’existence de ce petit bouge frileusement blotti entre deux grandes maisons à colombages, dans les plus pures traditions des vieilles maisons normandes.

Toujours avant la guerre, le bar du « Poisson sec » était tenu par une très jolie Maltaise d’origine israélite. Cette jeune lady s’appelait Annah pour tout le monde. Elle parlait couramment plusieurs langues et savait trouver les mots qui émeuvent ou ramènent au silence les matelots travaillés par l’alcool.

Elle s’exprimait avec une connaissance si parfaite des ressources argotiques de quelques langues, en principe décentes, que c’était un perpétuel sujet d’attendrissement de la part des individus qu’elle honorait de sa conversation.