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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

L’aspect de la grande salle du « Poisson sec » valait certainement le prix d’un gobelet d’ale ou de stout. Meublée sévèrement, elle alignait des tables en bois entourées de tabourets de paille. Les murs peints en rouge sang de bœuf, un peu comme on pourrait imaginer le parloir d’un ancien exécuteur des hautes œuvres, s’ornaient de chromos édités luxueusement par les plus célèbres vendeurs de spiritueux du monde entier. Une estampe, dans un mauvais tirage, de W. Hogarth, représentait une scène tirée de cette curieuse suite de gravures, intitulée Les Progrès d’une garce. On voyait, quoique l’humidité eût abîmé une partie du dessin et que les mouches eussent injurié copieusement le verre qui devait le protéger, la malheureuse Polly battant le chanvre dans une maison de correction. Toutefois les inquiétantes beautés qui fréquentaient le « Poisson sec » paraissaient se soucier fort peu de dégager un enseignement quelconque de cette gravure symbolique.

Près de la caisse en imitation d’acajou, derrière laquelle trônait la brune Annah, se dressait le perchoir d’un perroquet, probablement contemporain de la gravure et que miss Annah repassa à son successeur quand elle vendit son fonds.

Ce perroquet n’avait d’autre intérêt que de dominer, de sa voix de phonographe, le bruit des conversations les plus endiablées. Au milieu