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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

Un soir que le capitaine Heresa était de quart avec les tribordais, Bébé-Salé, débarrassé de son coadjuteur Powler, frappa timidement à la porte de la cabine de Krühl. Éliasar justement se trouvait là, jouant une partie d’échecs avec le Hollandais.

― Entrez, cria Krühl.

Bébé-Salé, roulant timidement sa casquette de marine entre ses doigts crevassés, fit quelques pas dans la direction de M. Krühl, qui, le nez sur l’échiquier, prêt à pousser son fou, demanda :

― Qu’y a-t-il ?

Toute l’assurance de Bébé-Salé tomba devant cette simple question. Il ânonna.

― Allons, quoi, fit Krühl, qui, cette fois leva la tête.

― Il y a, monsieur Krühl, que M. le capitaine, M. le capitaine, le capitaine…

― Veux-tu un peigne ? ricana Éliasar.

― Je voulais dire que M. le capitaine Heresa boit avec les hommes de l’équipage, dame oui.

Krühl se leva d’un bond en bousculant les pièces sur l’échiquier.

― Quoi, quoi ? hurla-t-il, rouge de fureur, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire-là, Bébé-Salé ? Veux-tu me foutre le camp tout de suite à la cambuse ! Bouh, bouh, peuh !

Bébé-Salé n’avait pas attendu la fin de la phrase pour regrimper résolument l’escalier. On entendit ses pieds nus heurter les marches.