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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

Quand elle danse au son des banjos et des guitares, les hommes les plus obtus et les plus brutes pensent à des choses incroyablement douces dont ils s’étonnent eux-mêmes.

Chita danse pour ceux qui n’ont pas de famille, pas de fiancée, pas de patrie ; pour ceux qui sont seuls avec leurs larges épaules, leur couteau et la sensibilité que la nature leur a choisie. Mais cette fille est ainsi. Elle dépouille les hommes et chacun étale, devant ses beaux yeux indifférents, sur son mouchoir sale à carreaux rouge et jaune, les pensées les plus secrètes de son cœur, les menus attendrissements et les chagrins définitifs qu’il est décent de cacher soigneusement.

Chez la senora, quand la mulâtresse retrousse un peu ses jupes pour le fandango et le zapataedo, il n’est pas rare de voir la gaieté disparaître sur tous les visages.

Lorsqu’un matelot, plus ivre que les autres, essaye de se lever afin d’exprimer sa pensée par un geste direct dans la direction de Conchita, les autres l’obligent à se rasseoir, et le matelot devient mélancolique. On fait de lui ce que l’on veut et tant qu’il lui restera une piastre dans la poche, il restera à sa place, aussi calme qu’un enfant.

Plus tard, en mer, le garçon se rappellera la jolie novia de son cœur, mais il sera trop tard et sa rage impuissante ne le sauvera pas de l’amer cafard, qui n’est, selon les soldats, qu’un atroce