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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

― C’est beau, Paris ? demanda Marie-Anne.

― Arch ! laissez-moi tranquille avec Paris, grimaça Samuel Eliasar. Tenez, madame, Paris… Paris… (Il mit dans le creux de sa main un peu de cendre de cigarette et souffla dessus). Voilà le cas que je fais de Paris.

― Menteur ! dit Marie-Anne.

Samuel Eliasar haussa les épaules, puis il ajouta :

― C’est tout de même un drôle de type que ce Krühl. Hollandais, je crois, c’est ce qui explique sa présence ici. Moi je suis réformé — il montra son cœur, — mais j’ai tout de même tiré un an dans les tranchées de l’Artois. Enfin, pour en revenir à Krühl, que fait-il pour se distraire ? Est-ce un peintre comme M. Pointe ? On m’a dit qu’il possédait des livres rares de voyages. Écrit-il ? Vous savez, je ne me lie pas facilement, lui non plus, à ce qu’il paraît. Alors on ne se parle pas beaucoup. Lui de son côté, moi du mien. Cela vaut mieux. Je suis venu sur la Côte pour être tranquille et travailler à un roman. À Paris, il faut être plus courageux que je ne le suis pour produire quelque chose qui vaille la peine d’être imprimé. C’est par le plus grand des hasards que je suis venu ici. J’avais un ami qui était de Quimperlé — il est mort à la guerre, — il me parlait souvent de son pays. Un beau jour, j’ai pensé à lui, j’ai pensé à son pays, et je suis venu avec ma malle.