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LA LANDE ET MARIE DU FAOUËT

time évanouie et commencèrent les tractions rythmiques de la langue selon les traditions. Krühl, ruisselant d’eau, courut se changer devant le feu dans le cabaret de Boutron.

Il finissait de revêtir un complet de matelot qui appartenait au patron de la maison, quand ce dernier arriva avec Bébé-Salé qui soutenait un individu, infiniment détérioré, mais vivant. Des enfants escortaient le groupe. Au seuil de chaque porte des femmes apparaissaient, s’interrogeant d’une maison à l’autre.

― Tu vas boire un bon verre de tafia, monsieur, dit Boutron et puis tu pourras dire merci à M. Krühl que voici.

Krühl s’avança et regarda la triste loque humaine que Bébé-Salé démaillotait comme on démaillote un enfant.

― Ah, par exemple, monsieur Eliasar, c’est vous, s’exclama Krühl qui reconnaissait le pensionnaire de Mme Plœdac ! Ah, nom d’un chien, ah, par exemple, en voilà une idée !

Eliasar était trop faible pour répondre qu’il n’était pas absolument satisfait de cette idée, et que s’il eût été le maître absolu de son destin, il se serait volontiers passé de la mettre à exécution.

― Faut te réveiller, monsieur Eliasar, faut te réveiller, disait Boutron en approchant des lèvres de l’infortuné un plein gobelet de tafia.

Eliasar plongea ses lèvres déteintes dans le