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LE LIVRE DE LA FORTUNE.

― Vous travaillerez ce soir, après le souper ?

― Non, monsieur Pointe. N’essayez pas d’amollir un courage qui ne possède pas la fermeté du roc.

― Laisse-le donc travailler, dit Krühl. Tu es extraordinaire et ce petit a raison. Ça te fait mal au ventre de voir quelqu’un travailler à côté de toi.

― C’est par bonté, insinua Pointe.

― Quel veau !… répondit Krühl en regardant le plafond de la salle à manger.

Eliasar s’enferma dans sa chambre. Pendant une semaine on ne le vit qu’aux heures des repas et après le souper, pour faire la manille avec Krühl et Pointe.

― Vous savez, mon vieux, dit Krühl, que si vous continuez à jouer au solitaire genre romantique, la jeune Marie-Anne va se précipiter dans la mer ou se livrer à la boisson. » Il imita la voix fluette de Marie-Anne : « Ah ! bien vrai, monsieur Krühl, vous n’êtes pas gentil de ne pas nous amener votre ami. Ah ! dame non. »

Eliasar se redressa, fit tomber du bout de l’annulaire la cendre de sa cigarette et déclara : « Les poules… » Il n’acheva pas sa phrase, et Pointe, qui malgré ses soixante-dix ans, allait aux filles comme un limaçon va aux fraises, se permit d’ajouter :

― Ah ! ah ! mon cher, vous avez tort… j’en connais… Il n’acheva pas non plus sa phrase.