Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/236

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figure, cette barbe poivre et sel, que ce truand vieux avant l’âge, que toute cette ruine constituât le Quincas Borba que j’avais connu autrefois. Et pourtant, c’était lui. Les yeux conservaient encore l’expression d’un autre temps ; le sourire n’avait point perdu l’ironie caractéristique. D’ailleurs il supporta tranquillement mon ébahissement. Au bout de quelques instants, je détournai les regards. Si son aspect était répugnant, la comparaison était abasourdissante.

— Pas besoin de longs commentaires, n’est-ce pas ? vous devinez tout : une vie de misère, de tribulations et de luttes. Vous rappelez-vous nos réunions où je jouais le rôle de roi ? Quelle dégringolade ! Me voilà passé mendiant.

Haussant les épaules et la main droite, d’un air d’indifférence, il paraissait résigné aux coups de la fortune, et peut-être même satisfait. Oui content, et, en tous cas, impassible. Ce n’était ni la résignation chrétienne, ni l’acceptation philosophique. La misère lui avait recouvert l’âme de durillons, au point qu’il avait perdu la sensation de la boue. Il traînait ses haillons comme autrefois la pourpre : avec je ne sais quelle grâce indolente.