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Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/39

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les yeux et m’abandonnai au hasard. J’avoue que je ressentis quelque démangeaison de savoir où se trouvait placée l’origine des siècles, si elle était aussi mystérieuse que celle du Nil, et surtout si elle valait plus ou moins que la consommation des mêmes siècles : réflexions d’un cerveau malade. Comme je fermais les yeux, je ne voyais pas le chemin. Je me souviens seulement que l’impression du froid augmentait à mesure que nous avancions. À un certain moment, je crus entrer dans la région des neiges éternelles. J’ouvris alors les yeux, et je vis qu’en effet mon hippopotame galopait sur une plaine de neige, couverte de quelques montagnes de neige, d’une végétation de neige, et de quelques grands animaux également de neige. On ne voyait que de la neige ; un soleil de neige nous pénétrait de froidure. J’essayai de parler, mais je ne pus prononcer que cette question anxieuse :

— Où sommes-nous ?

— Nous avons passé l’Éden.

— Arrêtons-nous alors sous la tente d’Abraham.

— Mais puisque nous allons en arrière, répartit ma monture en se moquant de moi.