Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/223

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La douleur fut telle que je vis rouge ; je m’élançai sur le malade, je le pris à la gorge ; nous luttâmes, je l’étranglai…

Quand je le sentis s’amollir, je reculai atterré, en poussant un cri. Personne n’entendit. Je revins vers le lit ; je secouai le corps pour le rappeler à la vie. Vain effort ; l’anévrisme s’était rompu ; le colonel était mort. Je m’enfuis dans la salle contiguë, et, pendant deux heures, je n’osai rentrer dans la chambre. Je ne saurais dire tout ce que j’éprouvai durant ce laps de temps. C’était une sorte d’abrutissement, un délire vague et stupide. Il me semblait que des visages se profilaient sur les murs ; j’entendais des voix lugubres. Les cris de la victime, proférés avant et pendant la lutte, continuaient à se répercuter en moi ; et l’espace, de quelque côté que je me tournasse, me paraissait rempli de convulsions. Ne croyez pas que je cherche à faire des images ou du style ; je vous jure que j’entendais nettement des voix crier : « Assassin ! assassin ! »

À cela près, tout était silencieux. Le même tic-tac de l’horloge, lent, égal et sec, soulignait ce silence et ma solitude. Je collai l’oreille à la