Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/227

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fini, je respirai. J’étais en paix avec les hommes ; je ne l’étais pas avec ma conscience, et les premières nuits furent naturellement des nuits de trouble et d’affliction. Inutile de dire que je partis aussitôt pour Rio, et que j’y passai une vie cruelle, bien que je fusse éloigné de l’endroit du crime. Je ne riais pas, je parlais peu, je mangeais mal, j’avais des hallucinations et des cauchemars…

— Ne pensez donc plus aux morts, me disait-on ; il n’y a pas lieu d’être si mélancolique.

Et je mettais ces illusions à profit, faisant les plus grands éloges du mort, le traitant de bonne créature, irascible en vérité, mais possédant un cœur d’or. Et j’en arrivais à me convaincre moi-même, pour quelques instants tout au moins. Un autre phénomène intéressant, et qui vous semblera peut-être significatif, c’est que, n’étant pas croyant, je fis dire une messe pour l’éternel repos de l’âme du colonel, dans l’église du Saint-Sacrement. Je ne fis aucune invitation, je n’avisai personne. J’y allai seul et je me tins à genoux tout le temps, me signant fréquemment. Je doublai l’obole du prêtre, et je distribuai des aumônes à la porte, le tout pour