Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/329

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que le valet de chambre ne remarquât point son émotion. Dona Paula demeura seule en face de la table et du domestique qui la servait. Elle mit près de vingt minutes à boire une tasse de thé et à grignoter un biscuit. Dès qu’elle se trouva seule, elle alla s’accouder à la fenêtre qui donnait sur le jardin.

Il ventait doucement, et les feuilles qui s’agitaient, murmurantes, ces feuilles qui n’étaient plus celles d’antan, se montraient cependant questionneuses. « Dona Paula, disaient-elles, vous rappelez-vous les jours lointains ? » — Car c’est une originalité chez les feuilles : les générations qui vont disparaître racontent à celles qui viennent de naître tous les événements auxquels elles ont assisté, de sorte qu’elles savent tout, qu’elles interrogent sur tout : « Vous souvenez-vous des jours lointains ? »

Se souvenir… oui, elle se souvenait. Mais la sensation, réflexe tout au plus, qu’elle avait ressentie, ne persistait plus en elle. C’est en vain qu’elle se répétait les paroles de sa nièce, qu’elle humait la brise agreste de la nuit. C’est du cerveau seulement que surgissaient quelques vestiges, quelques réminiscences du passé, des