Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/336

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quelques lustres ont inventé un sentiment d’ennui, tedium vitæ, qu’il leur était impossible de connaître, au moins dans sa rigoureuse et implacable réalité : il faut avoir, comme moi, foulé toutes les générations et toutes les ruines pour ressentir ce profond dégoût de l’existence.

Prométhée. — Des milliers d’années ?

Ahasvérus. — Mon nom est Ahasvérus. Je vivais à Jérusalem, au temps où l’on crucifia le Christ. Quand il passa devant ma porte, il tomba sous le poids de la poutre qu’il portait sur les épaules ; et moi je le repoussai, je lui criai de ne point s’arrêter, de ne point se reposer qu’il n’eût atteint le sommet de la colline où il devait être crucifié. Alors, du haut du ciel, une voix me cria que, moi aussi, il me faudrait marcher, continuellement, jusqu’à la fin des temps. Telle fut ma faute ; je n’eus point pitié de celui qui allait mourir. Et je ne sais même pourquoi j’agis ainsi. Les pharisiens disaient que le fils de Marie venait détruire la loi, qu’il était nécessaire de le tuer. Pauvre ignorant que j’étais, je voulus montrer mon zèle, et je commis cette lâche action. Que de fois j’ai vu procéder de même, depuis, dans ma longue