Page:Machado de Assis - Quelques contes.djvu/93

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de les regarder tout de suite, ouvertement ; il paraissait même tout d’abord en détourner les yeux, choqué. Peu à peu, il s’y complut, en les voyant ainsi sans manches ; il les découvrit, les contempla et les aima. Au bout de trois semaines, ils étaient devenus, moralement parlant, sa tente de repos. Il supportait tout le travail du dehors, toute la mélancolie de la solitude et du silence, toute la grossièreté du patron, pour l’unique salaire de voir, trois fois par jour, cette fameuse paire de bras.

Ce jour-là, tandis que la nuit tombait, et qu’Ignace se jetait sur le hamac (il n’avait pas d’autre lit), dona Severina, dans le salon du devant, récapitulait les événements du dîner, et, pour la première fois, elle eut quelque soupçon, qu’elle rejeta aussitôt : « un enfant » ! — Mais certaines idées sont de la famille des mouches tannantes : on a beau les chasser, elles reviennent et se posent à nouveau. Un enfant ? il avait quinze ans ; et elle s’avisa qu’entre le nez et la bouche du jeune homme, il y avait l’ébauche d’une moustache. Quoi d’étonnant qu’il commençât d’aimer ? N’était-elle point jolie ? cette autre pensée ne fut point rejetée,