Page:Machiavel - Oeuvres littéraires - trad Peries - notes Louandre - ed Charpentier 1884.djvu/395

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François de Todi. C’est le récit de ce massacre qui fait l’objet du morceau qu’on va lire. Machiavel, en racontant ce drame terrible, garde la même insensibilité que Grégoire de Tours en racontant les crimes des Mérovingiens. Cette insensibilité a été l’objet d’un blâme très sévère ; mais comme en toutes les questions on trouve toujours des contradicteurs, s’il s’est rencontré des écrivains qui ont condamné Machiavel à cause du ton de son récit, il s’en est rencontré d’autres qui l’ont absous. Au premier rang de ces derniers se place l’ingénieux critique Hoffmann, et nous croyons faire plaisir aux lecteurs en mettant sous leurs yeux la discussion dans laquelle ce remarquable écrivain combat l’opinion du Ginguené.

« On sait, dit Hoffmann, que l’exécrable César Borgia, feignant de vouloir faire la paix avec quatre princes ses ennemis, leur donna un rendez-vous à Sinigaglia, et les fit égorger. Machiavel était alors à la cour de Borgia. Mais ce que M. Roscoe, d’ailleurs si sage et si exact, ce que Ginguené, qui se décide rarement sur une question difficile, n’ont pas assez remarqué, Machiavel n’était point là pour son plaisir ; c’était pour lui un devoir, une obligation, puisqu’il y était envoyé par son gouvernement. Après le crime de Borgia, il en informa sous gouvernement dans un écrit où il est vrai de dire qu’il n’exprime aucune horreur de ce forfait, pas même une simple improbation ; il en félicite au contraire son gouvernement, parce que les victimes de Borgia étaient en même temps les ennemis de Florence. Voilà ce qu’on lui reproche, comme s’il eût été complice du crime, et on en conclut qu’il l’avait au moins approuvé. Ginguené s’écrie : « Devait-il s’approcher d’un tel prince ? Ne devait-il pas s’enfuir épouvanté ? Comment a-t-il pu transmettre à la postérité de pareils détails sans les blâmer, sans témoigner la moindre répugnance ? » Il n’est rien de plus facile que de faire voir l’injustice et le ridicule de cette déclaration : 1o Machiavel ne songeait pas à la postérité, mais à son gouvernement, quand il lui a transmis cette dépêche, et ce n’est pas lui qui l’a publiée. 2o Il fallait bien qu’il approchât d’un tel prince, puisque son gouvernement l’envoyait auprès d’un tel prince. 3o Il ne s’est pas enfui épouvanté, parce qu’un envoyé, un ambassadeur ne quitte pas son poste sans ordre ou sans permission.

« Quant au style de la dépêche, il est ce qu’il devait être : exprimer l’horreur ou le blâme eût été une faute coupable, parce que Florence avait tout à craindre de Borgia et de son père Alexandre VI, parce qu’elle avait le plus grand intérêt à éviter