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Page:Maeterlinck - Berniquel.djvu/22

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fraie, qui se laissent égorger comme des moutons, et je me sens de taille à me défendre…

TITIA. — Pas contre un fou. On ne se défend pas contre une balle dans le dos. Il était capable de tout. Je t’aimais trop pour lui livrer ta vie, et j’ai préféré porter seule, en silence, tout le poids de la faute ; si faute il y a, car je n’arriverai jamais à comprendre qu’on puisse être coupable quand on sacrifie la paix de sa conscience au bonheur de celui qu’on aime… Qu’aurais-tu fait à ma place ?…

BERNIQUEL. — Je t’aurais dit tout simplement la vérité.

TITIA. — Voilà bien les hommes !… Quand ils ont dit la vérité, ils croient avoir tout dit !… Mon pauvre ami, c’est si facile de dire la vérité !… C’est si facile et si peu généreux !… Mais c’est savoir ne pas la dire, quand elle pèse sur le cœur, qui est le sacrifice et la grande preuve de l’amour. Si tu ne le comprends pas, c’est que tu n’as jamais aimé…

BERNIQUEL. — Tout cela ne tient pas debout. Voilà la troisième fois que tu changes ton système… Tu commences par me dire que je ne suis pas cocu parce que tu croyais que je savais que je l’étais ; ensuite, tu m’affirmes que tu ne m’as fait cocu que pour me sauver la vie ; et enfin, tu déclares que tu aimes mieux souffrir toute seule en me faisant cocu sans me le dire que de te soulager en m’annonçant que je le suis…