Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
J. LERMONT

de ne pas nous déclarer satisfaites, et le retour s’effectuait parmi les chants et les rires.

Chaque pique-nique avait son attraction particulière. Au printemps, les prés fleuris de pâquerettes nous offraient d’autres plaisirs. C’était, dans les forêts de sombres sapins ou de bouleaux nacrés au léger feuillage tremblant sous les brises, la recherche des premières anémones, puis de la Linnéa, cette exquise fleur rose, connue seulement chez nous et en Suède et dont la délicate beauté est encore surpassée par son parfum sans pareil. C’étaient ensuite, avec l’été, les fraises vermeilles, les framboises, les myrtilles, les airelles, les champignons. Fières de notre science nouvelle, nous aimions à déclarer que nul pays d’Europe ne peut, comme le nôtre, se vanter de posséder en ses bois d’infinies variétés de champignons et pas moins de dix-huit cents espèces ? Nous apprenions vite à distinguer ces cryptogames, et, tandis que nous rejetions les vénéneux malgré leurs couleurs généralement plus éclatantes, nous faisions ample provision de délicieux champignons dont nous nous régalions séance tenante ou que nous réservions pour les faire sécher en prévision du long hiver. M. Ollan n’omettait jamais, quand l’occasion s’en présentait, de nous rappeler à ce propos que, chez les humains, les dehors les plus séduisants cachent parfois des âmes noires et qu’il faut bien se garder de juger les gens sur l’apparence. Nous écoutions docilement, acceptant sans mot dire ses paroles que nous étions habituées à respecter, tout en ayant peine à croire que le monde pût être si méchant.

Les myrtilles et les airelles, au goût aigrelet, ne pouvaient manquer de plaire à des enfants ; lorsque nous en avions mangé à notre appétit et qu’il nous eût été impossible d’en avaler une de plus, nous n’en récoltions pas moins avec ardeur sur leurs basses tiges, parmi les mousses, les baies rouges des airelles ou les baies bleues, presque noires sous leur fraîche « fleur » d’impalpable poussière, des myrtilles, dont le jus, couleur sang de bœuf, produisait sur nos mains, nos lèvres et nos vêtements, les effets les plus désastreux. Airelles ou myrtilles, après avoir passé par la cuisine où on nous apprenait à les préparer, formaient alors des compotes et des confitures que nous appréciions fort. Nous en faisions aussi des tartes, et même les airelles confites (dans du vinaigre) devenaient un condiment très agréable en hiver. C’est dire si nous cherchons à utiliser les moindres baies ; ayant peu de fruits, nous ne sommes pas difficiles. Nous ne connaissons ni les raisins, ni les pêches ; nos prunes, petites, aigres, n’ont rien de commun avec les reines-Claude ; les pommes, les poires et les cerises de nos vergers ne sont vraiment bonnes que dans le sud de la Finlande, mais les groseilles sont excellentes, et, partout, la nature nous fournit des fruits sauvages qui ont bien leur charme, et que les habitants des pays tempérés ne connaissent même pas de nom. Les fruits de la ronce des marais, de la ronce des pôles et de la canneberge nous semblaient incomparables. Quelle joie pour nous d’aller « à la récolte », comme nous disions ! Si on nous parlait des trésors prodigués aux pays du soleil, loin de nous croire mal partagées par le sort, nous nous trouvions bien plus heureuses que nos voisins les Lapons, ou que ceux de nos compatriotes qui habitent aux confins de la Laponie.

Mlle Mathilde nous parlait souvent d’un voyage qu’elle avait fait en France, grâce à une de ces bourses de voyage que le gouvernement accorde aux professeurs dans le but exprès de perfectionner leurs connaissances linguistiques et d’acquérir sur place une bonne prononciation.

Elle nous contait les merveilles qu’un trop court séjour à Paris lui avait permis de contempler, et tout ce qu’elle avait observé à la campagne, où elle avait passé quelques mois. Qu’ils nous paraissaient privilégiés, ces Français qui, tous les jours, même parmi les gens peu fortunés, mangent du beau pain blanc. C’est du luxe chez nous, loin des villes, le pain blanc, c’est du gâteau, et on est trop heureux d’avoir du pain de seigle ou d’orge. Et les pommes de terre sont là, nos bonnes pommes de terre farineuses dont nous nous