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JULES VERNE

plus loin que le cours du Bahar-el-Abiad, l’un des tributaires qui versent leurs eaux dans le sud du lac Tchad.

C’est à l’un des principaux affluents de la rive droite du Congo ou Zaïre, que cette contrée doit son nom. Elle s’étend à l’est du Cameroun allemand, dont le gouverneur est le consul général d’Allemagne de l’Afrique occidentale, et ne saurait être actuellement délimitée par un trait précis sur les cartes, même les plus modernes. Si ce n’est pas le désert — un désert à végétation puissante, d’ailleurs, et qui n’aurait aucun point de ressemblance avec le Sahara — c’est du moins une immense région, sur laquelle se disséminent des villages à grande distance les uns des autres. Les peuplades y guerroient sans cesse, s’asservissent ou s’entre-tuent, et s’y nourrissent encore de chair humaine, tels les Moubouttou, entre le bassin du Nil et du Congo. Et, ce qui est abominable, ce sont les enfants qui servent d’ordinaire à l’assouvissement de ces instincts du cannibalisme. Aussi, les missionnaires se dévouent-ils pour leur arracher ces pauvres êtres, soit en les enlevant par force, soit en les rachetant, et ils les élèvent chrétiennement dans les missions établies le long du fleuve Siramba. Qu’on ne l’oublie pas, ces missions ne tarderaient pas à succomber faute de ressources, si la générosité des États européens, celle de la France, en particulier, venait à s’éteindre.

Il convient même d’ajouter que, dans l’Oubanghi, les enfants indigènes sont considérés comme monnaie courante pour les échanges du commerce. On paye en petits garçons et en petites filles les objets de consommation que les trafiquants introduisent jusqu’au centre du pays. Le plus riche indigène est donc celui dont la famille est la plus nombreuse.

Mais, si le Portugais Urdax ne s’était pas aventuré à travers ces plaines dans un intérêt commercial, s’il n’avait pas eu à faire de trafic avec les tribus riveraines de l’Oubanghi, s’il n’avait eu d’autre objectif que de se procurer une certaine quantité d’ivoire en chassant l’éléphant qui abonde en cette contrée, il n’était pas sans avoir pris contact avec les féroces peuplades congolaises. En plusieurs rencontres même, il dut tenir en respect des bandes hostiles et changer en armes défensives contre les indigènes celles qu’il destinait à poursuivre les troupeaux de pachydermes. Au total, heureuse et fructueuse campagne qui ne comptait pas une seule victime dans le personnel de la caravane.

Or, précisément, aux abords d’un village, près des sources du Bahar-el-Abiad, John Cort et Max Huber avaient pu arracher un jeune enfant à l’affreux sort qui l’attendait et le racheter au prix de quelques verroteries. C’était un petit garçon, âgé d’une dizaine d’années, intéressante et douce physionomie, dont le type nègre était peu accentué. Ainsi que cela se voit chez quelques tribus, il avait le teint presque clair, la chevelure blonde et non la laine crépue des noirs, le nez aquilin et non écrasé, les lèvres fines et non lippues ; de constitution robuste, ses yeux brillaient d’intelligence, et il éprouva bientôt pour ses sauveurs une sorte d’amour filial. Ce pauvre être, enlevé à sa tribu, sinon à sa famille, car il n’avait plus ni père ni mère, se nommait Llanga. Après avoir été pendant quelque temps instruit par les missionnaires qui lui avaient appris un peu de français et d’anglais, une mauvaise chance l’avait fait retomber entre les mains des Donka, et quel sort l’attendait, on le devine. Séduits par son affection caressante, par la reconnaissance qu’il leur témoignait, les deux amis se prirent d’une vive sympathie pour cet enfant ; ils le nourrirent, ils le vêtirent, ils l’élevèrent avec grand profit, tant il montrait d’esprit précoce. Et, dès lors, quelle différence pour Llanga ! Au lieu d’être, comme les malheureux petits indigènes, à l’état de marchandise vivante, il vivait dans les factoreries de Libreville, devenu comme l’enfant adoptif de Max Huber et de John Cort… Ils en avaient pris la charge et ne l’abandonneraient plus !… Malgré son jeune âge, il comprenait cela, il se sentait aimé, une larme de reconnaissance coulait de ses yeux chaque fois que les mains