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POUR L’HONNEUR

— Alors, à une heure, si vous le voulez bien. »

Marcenay fut exact. Mais le notaire avait réfléchi. Dès en abordant le jeune homme, il lui annonça :

« Nous allons nous donner beaucoup de mal, avaler quantité de poussière, pour un résultat des plus incertains. Voulez-vous que je fasse une démarche qui évitera toutes les autres ?

— Laquelle ?

— Passer à l’enregistrement. Nous aurons là le résumé des actes faits dans les études de la ville à l’époque indiquée. Les relever sera un jeu d’enfant comparé au travail que nous allions entreprendre.

— L’enregistrement ! j’y avais bien pensé, repartit Pierre : mais, sans aucun titre pour me livrer à de telles recherches, je craignais de me heurter à une fin de non-recevoir. Vous, monsieur, tout au contraire, vous avez cent moyens d’obtenir la communication que l’on m’eût sûrement refusée. Aussi, combien je vous suis reconnaissant de votre offre !

— Alors, c’est entendu. J’irai demain : et après-demain, dans la matinée, nous compulserons mes notes. »

Ils se quittèrent, les choses étant ainsi convenues entre eux.

Le courrier du lendemain matin lui apporta des nouvelles d’un peu partout.

Omer Fochard annonçait de Montreuil qu’il avait fait buisson creux. Marc Aubertin apprenait à son ami qu’il avait enfin « décroché » son congé et après l’avoir accablé de reproches sur sa paresse, lui donnait rendez-vous à Dracy, où il comptait aller tout d’abord en compagnie de sa bonne marraine. Il ajoutait :

« C’est durant ces trente jours que mon avenir va se décider… tout mon avenir !… Je t’avoue que le cœur me bat un peu à y songer. »

Se rappelant sa conversation à ce sujet avec Gabrielle, Pierre se dit que le comte de Trop serait bien conseillé par sa cousine, en attendant que lui-même vînt à la rescousse pour le détourner de se laisser mettre dans l’industrie, qui n’était pas son fait.

Et il décréta que, puisqu’ils allaient se revoir incessamment, une réponse devenait superflue.

La dernière lettre que décacheta le jeune homme le laissa pétrifié de surprise. Elle était de sa tante et commençait ainsi :

« N’attends pas de réponse de Greg ; il est parti ce matin, mon cher. Je ne sais si ta lettre l’a froissé ou si c’est ton oncle qui l’a mis à la porte ; je n’ai pu obtenir d’éclaircissements ni de l’un ni de l’autre. Ce dont je t’assure, c’est que je n’y suis pour rien, bien que j’eusse eu toutes les raisons possibles de prendre moi-même ce parti. Ah ! j’en aurai à t’apprendre, du nouveau ! Nous voici réduits à nous-mêmes. Je m’ennuie tellement que je vais, je crois, décider ton oncle à vendre la maison. Nous irons en ville. Notre fortune nous permet d’y faire figure, et j’y aurai au moins des relations agréables.

« Ma santé ne va pas, mais pas du tout ! Moi qui étais si bien avant ton départ !… »

Suivaient les doléances accoutumées sur « son misérable estomac ».

Mais Pierre y demeura tout à fait insensible : il pensait à Greg.

Avait-il vraiment pris sa semonce au tragique ? Il était susceptible ; il l’était même beaucoup… Toutefois, un pareil coup de tête ne lui ressemblait guère. Cela eût révélé un manque de cœur et petit Greg ne pouvait être suspecté à cet égard. Un renvoi de la part de l’oncle Charlot apparaissait au jeune homme tout aussi invraisemblable. Il finit par supposer que le vieillard, voyant Greg et « la vieille dame » en perpétuel conflit, avait expédié son petit compagnon à Mlle Dortan jusqu’à son retour. Et il se promit d’écrire à Catherine, ce jour même, pour s’en éclaircir.

Mais la fin de la lettre, que signifiait-elle ? Vendre la maison ?… la maison familiale !… une angoisse l’étreignit. Il sentait une menace d’orage planer à l’horizon… Qu’allait-il apprendre ? C’est en tremblant qu’il se le demandait.

Toute la journée il porta cette pensée douloureuse ; si bien qu’il oublia d’écrire à la vieille amie de petit Greg.