Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/119

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énorme broc de vin blanc, le vin pétillant des environs de Saumur, dont il fallait boire, en choquant les verres, à la santé les uns des autres, et pour faire venir l’appétit en attendant le diner.

C’était la première fois qu’Édouard pénétrait dans une ferme, et il regardait beaucoup cet intérieur, si différent des appartements de ville : la grande chambre servant à Ja fois de salon, de salle à manger, de chambre à coucher et de cuisine ; les grands lits de serge, le buffet-dressoir, garni de faïences peintes aux couleurs vives, et les armoires gigantesques, allant du sol au plafond, tout cela si bien ciré, frotté, luisant, que l’on y aurait pu faire sa toilette, mieux que dans le petit miroir, large comme la main, qui était pendu au mur. Le plancher n’était que de terre battue ; le plafond se composait d’un plancher supérieur, posé sur des poutres noires ; la haute cheminée de pierre, large, béante, posait ce problème, à savoir si elle devait donner plus de froid ou plus de chaud ? Les vitres des fenêtres étaient rétrécies par de nombreuses lignes de bois croisées, interceptant la lumière, qui entrait, en revanche, pleinement par la porte de la cour toujours ouverte. Et cependant cette grande chambre, où se passaient tous les événements petits ou grands de la vie commune, la plupart des morts et des naissances, aussi bien que les repas, dépourvue comme elle était de tout ce qu’on nomme confort, elle en avait un cependant, plus particulier, plus intime, plus large, un confortable d’un autre ordre, fait de choses invisibles et qui parlait de paix, d’asile, de santé, de travail, de simplicité. On s’y sentait au repos. C’était une patrie, celle de tous ces enfants, frais et robustes, qui, bien évidemment, n’y avaient pas souffert.

Il est vrai qu’on ne savait guère s’ils n’étaient pas plutôt habitants des bois et des prés que de la maison, vrais sylvains, que le froid seul de nos contrées obligeait de prendre pour la nuit un autre abri que le creux des chênes. Les plus petits, après avoir satisfait leur curiosité à l’égard des visiteurs, qu’ils avaient silencieusement contemplés de tous leurs yeux plus ou moins longtemps, avaient tous les uns après les autres repassé la porte et s’étaient égrenés dehors. Il ne restait que les aînés, retenus par le devoir d’’hospitalité, mais qui bientôt entrainèrent leurs jeunes hôtes visiter les étables, le jardin, les champs.

Oh ! les jolis agneaux qu’il y avait dans l’étable ! des agneaux nouveau-nés, tout blancs, avec un petit nez rose et l’air si candide, si doux, se laissant embrasser autant qu’on voulait, en bêlant. Il y en avait un surtout, né depuis une heure, dont les pattes étaient si frêles encore qu’il ne pouvait se tenir debout. Amine le berçait dans ses bras, et le bêlement de l’agneau ressemblait presque au vagissement d’un baby.

Et les poulains ! oh ! le poulain noir, surtout, comme il était beau ! avec son étoile blanche sur le front, tout à la fois si doux et si brusque, venant flairer la main, se laissant caresser, gratter et puis tout à coup partant comme une étincelle ! Oh ! le gris aussi était bien gentil ! Quel plaisir on aurait eu à leur monter sur le dos et à courir avec eux ! Mais ce n’était pas possible. Le fermier le défendait ; cela leur aurait plié les reins, et, d’ailleurs, ils vous auraient tout de suite jeté par terre.

Vraiment, quand ils arrivent ainsi pour vous voir, tout doucement et à petits pas, au bord du pré, et qu’après vous avoir longtemps regardés, ils partent brusquement des quatre pieds à la fois, en faisant mille pétarades, on ne peut pas s’empêcher de songer aux petits enfants de la