Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/120

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ferme, curieux et effarouchés comme eux.

Brr ! Là-bas, au fond de la prairie, qu’est-ce que cet ouragan de bruit, de souffles, de crins en l’air, que fouette le vent ? Victor ! c’est Victor ! l’imprudent, l’enragé Victor, monté sur le jeune cheval indompté, qu’on lui avait tant défendu de toucher. Oh ! quel danger ! quelle folie ! À peine les voit-on, le cheval et le cavalier, tant les bonds sont rapides et l’élan sauvage. Victor ! pauvre Victor ! Il se tient ferme pourtant. Me Ledan, toute pâle, s’affaisse sur l’herbe, après avoir rangé les enfants le long de la haie. Amine, Ernest, Émile et Jules poussent des cris de douleur et font des gestes de désespoir. Charles médite, comme s’il pouvait quelque chose. Édouard, éperdu, respire à peine. M. Ledan, tout tremblant, parle au fermier, et celui-ci d’un geste anxieux lui montre Antoine, qui, s’avançant à pas mesurés vers le cheval, l’appelle d’une voix douce et ferme, en tendant la main vers lui…

Ô bonheur ! le cheval entend son jeune maître, il ralentit sa course folle, se dirige vers lui ; enfin il s’arrête, et Antoine va le saisir ; mais tout à coup le cheval s’échappe, d’un saut brusque, en se dressant presque droit, et Victor, qui allait descendre, est lancé à dix pas de là sur le pré.

On court, le cœur saisi. N’est-il pas brisé peut-être ? — Non. Victor plie et ne se rompt pas. Le voilà debout, assez étourdi, à ce qu’il semble. Et cependant, il essaye de prendre encore un air assez content de lui-même. Mais, devant la figure bouleversée de Mme Ledan, il baisse les yeux et dit d’un ton léger que dément sa confusion :

« Il ne faut jamais avoir peur à cause de moi, madame ; vous savez bien que je suis de caoutchouc. »

Ce bel aphorisme émis, il va reprendre son air superbe, quand il rencontre le regard sévère de son professeur.

« Nous avions compté sur une journée de plaisir et non pas d’émotions cruelles. Mais c’était compter sans vous, monsieur Victor.

— Mais, monsieur, vous voyez, je n’ai rien, et…

— Vous pouviez vous faire tuer ; et je réponds à vos parents de votre sécurité. On vous avait signalé le danger. Vous me forcez à restreindre votre liberté, Victor. Il faut vous résigner à ne point vous éloigner de moi, ou rentrer à la maison.

- Je serai charmé, monsieur, d’avoir votre compagnie. »

Cette phrase est dite du ton le moins enchanté ; pourtant, à l’air fatigué de Victor, à son pas traînant, il ne semble pas que cette obligation lui soit trop pénible. Bientôt Mme Ledan obtient de lui la confidence qu’il a fort mal à la tête, et l’emmène à la ferme pour lui faire boire une infusion de myrte, arbuste que la fermière soigne à l’intention de semblables accidents. Amine les suit, et revient peu de temps après apprendre à la compagnie que ce ne sera pas grave ; mais que Victor, après avoir pris l’infusion, a consenti à se mettre sur un lit, où déjà il dort ; si bien que, pour avoir fait trop de folies, il sera forcé de se tenir tranquille le reste du jour.

Cette aventure, un moment, avait assombri les esprits. Mais il restait encore à voir tant et de si curieux personnages, depuis les grands bœufs jusqu’aux poussins, que bientôt la gaieté se ranima tout entière.

Elles étaient si drôles toutes ces bêtes, chacune avec sa physionomie particulière, et toutes avec cet air important et convaincu que l’on rencontre aussi sur tant de figures humaines. Mesdames les oies, entre autres, avec leur démarche empesée