Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/121

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et leur sifflement menaçant, et les mères poules, si énergiques et si bavardes dans leur colère, quand on s’avisait de saisir et de baiser les petites boules de duvet qui pépiaient à leur suite. Il y eut un petit chien qui, en folâtrant, sans penser à mal, ameuta toute la basse-cour. Édouard ne pouvait s’empêcher de rire aux larmes des prétentions, des gentillesses et des passions de tous ces gens-là.

Enfin, vers midi, vint le diner, que réclamait un vif appétit. Comme ce fut amusant d’aller s’asseoir sur les bancs de bois, le long de la table, couverte d’une nappe de grosse toile, mais si blanche ! en face d’une assiette de faïence, cerclée de rouge et de bleu, au milieu de laquelle s’épanouissait dans toute sa gloire le coq de la basse-cour, ou quelque oiseau fantastique, ou des fleurs inconnues au monde végétal. On se passa l’un à l’autre ces chefs-d’œuvre de l’art rustique, jusqu’au moment où la soupe fumante les recouvrit de son bouillon odorant. Alors les conversations cédèrent le pas à l’action, et tout fut trouvé délicieux : la poule bouillie, le lapin rôti, le pâté en croûte, avec sa cheminée dentelée, et ses oiseaux informes, dus au modelage de Ravenelle, et les tartes aux fruits, et les œufs au lait. Oh ! quel appétit ! et quel bon diner ! un peu lourd peut-être ; mais l’air vif des champs allait activer la digestion.

De nouveau l’on se répandit dans la prairie. Le temps était magnifique. Tout resplendissait de soleil ; tout se colorait de bonheur.

Cependant, le secret ennui d’Édouard l’avait ressaisi, depuis un incident qui s’était produit au diner. :

Tous les enfants réunis, ceux de la ferme et ceux de la pension, s’étaient placés

pêle-mêle sur les bancs ; car on avait fait maintenant ample connaissance, et il n’était pas jusqu’aux plus petits qu’Amine n’eût apprivoisés. Dans cet arrangement, fait un peu au hasard, Édouard se trouvait assis entre deux des enfants Ravenel, Marie (surnommée la Brunette par ses parents, et que ses frères appelaient la Merlette, non-seulement parce qu’elle était brune, mais parce que, chansons ou paroles, elle ramageait tout le jour), et Jacques, dit Jacquinet, un garçon de l’âge d’Édouard et des plus éveillés de la bande. Édouard justement trouvait que c’étaient les deux plus aimables et n’était pas fâché de leur voisinage. Dans leurs habits du dimanche, ils étaient d’ailleurs fort propres l’un et l’autre, et la Brunette avait un fichu de mousseline blanche qui lui séyait fort bien. Déjà ils causaient gaiement, quand Antoine vint prier Édouard d’aller s’asseoir à l’autre bout du banc, près de Charles.

« Mais je suis bien ici, balbutia Édouard, qui, devinant la pensée d’Antoine, devint très-rouge.

— Non, non, monsieur, là-bas, vous serez mieux. »

Édouard eût désiré vraiment rester à sa place ; il eût en outre fait comprendre qu’il n’avait plus pour le voisinage des paysans ce dédain qu’il avait fait sentir si grossièrement à Antoine ; mais, voyant les yeux se fixer sur lui, il se hâta de faire ce qu’on lui demandait. Une fois assis près de Charles, il jeta autour de lui un coup d’œil timide. On le regardait encore, et il vit bien qu’on se moquait de lui. Ravenel surtout avait un sourire si railleur… Il rougit davantage, et la moitié de son appétit disparut.

Lucie B.

La suite prochainement.