Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/149

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— Oui, oui, répondit Édouard, je ne m’en suis pas aperçu, allez. Faites-moi croire cela. »

Il y eut un silence.

« Comme ça, reprit Antoine, qui semblait ému, si l’on en croyait sa voix légèrement altérée, vous croyez que j’vous mens ?… Pourtant… Vous pourriez demander à ceux-là qui me connaissent, monsieur Édouard, ils vous diraient que je n’suis pas menteur. »

Édouard eut un mouvement de conscience. Était-ce bien à lui, en effet, d’accuser de mensonge, sans preuve, un garçon que tout le monde estimait.

Il se tourna un peu du côté d’Antoine.

« Je ne dis pas ça ; vous ne m’avez rien fait, vous. Mais les autres…

— Les autres ? j’viens de leur parler, monsieur Édouard, et quand j’leur ai demandé pourquoi que vous n’étiez pas avec eux, ils m’ont dit qu’ils ne savaient point pourquoi vous fuyiez d’eux comme ça, et m’ont raconté ce qui vous avait ennuyé. Pour tout ça, c’n’est pas leur faute, et pour la grange, ils se doutaient ben que vous y étiez, mais n’savaient point et ne pouvaient pas savoir que vous étiez dessous, là, juste à l’endroit où ils ont dégringolé…

— Ils vous ont dit ça ; mais ça n’est pas vrai. Ils avaient assez regardé par les trous de la porte. Je vous dis qu’ils l’ont fait exprès.

— Et moi, j’suis sûr que non, monsieur Édouard, parc’que personne ici n’vous veut du mal, j’vous le répète. » Édouard ne voulut pas une seconde fois démentir Antoine ; mais comme il ne doutait pas de son appréciation, il dit : « Vous le croyez ainsi ; mais je crois le contraire. »

Et alors, comme il avait toujours regretté sa sottise envers Antoine, et que la bonté de ce jeune homme, qui malgré tout venait à lui, le touchait, il ajouta : « D’ailleurs, je sais bien que je n’ai pas le droit de m’en plaindre. C’est naturel. Je n’aurais pas dû venir ici, voilà tout ; mais ce n’est pas ma faute ; c’est M. Ledan qui l’a exigé.

Je sais c’que vous voulez dire, monsieur Édouard et j’étais ben sûr que c’était ça qui vous tourmentait. Eh ben, foi d’honnête homme, je n’ai dit à personne la chose qui s’est passée chez M. Ledan. Comme vous deviez venir, ç’aurait été mal de leur donner rancune contre vous. Et ainsi donc, vous voyez ben que personne ne peut vous voir ici de mauvais œil, et que tout ça n’est que dans votre idée. » Cette fois Édouard était tout à fait tourné vers Antoine. Il regarda un moment la bonne, douce et franche figure du jeune paysan, et tout à coup, par un mouvement spontané, il se jeta dans ses bras. Oh ! en ce moment, il ne pensait plus, ni au vêtement grossier, ni aux façons rustiques, ni aux mains calleuses ; il ne sentait qu’une chose, c’est que ce garçon avait un noble caractère, et valait mieux que lui, Édouard, qui l’avait osé mépriser. Et maintenant il l’aimait de tout son cœur !

Aussi, après avoir embrassé Antoine, lui demanda-t-il pardon, et comme il avait le cœur plein de larmes, elles coulèrent encore, mais cette fois avec douceur.

« Oh ! vous êtes un bon enfant, tout de même, disait Antoine avec émotion, je ne vous en veux pas du tout, allez, et même, puisque ça s’arrange comme ça, je vous aimerai davantage que si ça n’était pas arrivé.

Ils sortirent de la grange, et Antoine dit à Édouard qu’il allait le conduire vers les autres enfants qui s’amusaient dans le bois.

« Et vous n’avez qu’à jouer avec eux comme auparavant, monsieur Édouard ; car ils sont fâchés de vous avoir fait d’la