Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/179

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tas de blocs carrés, que viennent charger des barques plates, qu’on voit ensuite glisser lentement sur le fleuve. Édouard avait visité les carrières avec un guide et des flambeaux ; car elles sont profondes, et l’on peut s’y égarer ; et il avait remarqué tout près, dans le coteau, des excavations dont on avait muré l’ouverture, en y pratiquant une porte et une fenêtre, et qu’habitaient de pauvres gens.

« Seulement je voudrais bien savoir comment ça peut être dangereux, » se disait-il à lui-même en se rappelant la recommandation de M. Ledan.

Et il n’était pas éloigné du tout de trouver cette recommandation ridicule, parce qu’il ne la comprenait pas. Peut-être alors eût-il mieux fait de se la faire expliquer. Mais il n’eut garde, ayant bien autre chose à faire : siffler, lancer des pierres en ricochets sur la route, effaroucher les merles et babiller comme vingt pies. Il fallait bien aussi se taquiner un peu, courir Îles uns après les autres, et essayer de tous les chemins, excepté de celui qui sert à tout le monde. En vain Charles fait observer qu’une expédition scientifique exige plus de décorum ; on ne l’écoute pas ; lui-même, d’ailleurs, au début, n’est guère moins fou que les autres.

« Oh ! les belles aubépines, là-haut, dans la haie ! »

Édouard grimpe le talus pour les cueillir, car le chemin est fort creux à cet endroit. Il s’empare des aubépines, en se déchirant un peu les doigts, et continue sa route dans le champ, de l’autre côté de la haie. De là, dominant le chemin creux, il voit Charles, qui y est resté, tirer tranquillement un livre de sa poche.

Lire à la promenade, au lieu de jouer !

La chose parait si intempestive à Édouard qu’il saisit une motte de terre et la lance vigoureusement dans le dos de

Charles. Celui-ci, oubliant toute philosophie, se retourne vivement, reconnaît l’agresseur et se précipite vers lui. À la bonne heure ! c’est du jeu cela !

Édouard a le temps de lancer un nouveau projectile, qui, cette fois, atteint Charles en pleine poitrine ; mais en même temps, comme son adversaire a deux ou trois ans de plus que lui et possède deux longues jambes, d’une envergure effroyable, Édouard détale de toute la vitesse des siennes.

Cela va fort bien pendant deux minutes ; mais Charles gagne du terrain. Le voilà sur les talons d’Édouard, et déjà celui-ci tend le dos pour recevoir les taloches qu’il sait bien lui être dues, quand, bonheur ! à quelques pas se montre un rempart, une sorte de pyramide. Sans plus d’examen, Édouard se jette derrière, et par des bonds de chat, déjoue les élans de son adversaire. Cela peut durer longtemps ainsi ; mais quoi ! Édouard tout à coup demeure immobile et se laisse happer par son camarade,

« Demande-moi grâce, gamin !

— Écoute donc ! dit Édouard, dont les yeux s’arrondissent de surprise, et qui se laisse tranquillement administrer son salaire,

— Eh bien, qu’est-ce qu’il y a ? dit Charles, étonné de cette passivité.

— On entend des voix dans ce mur ! »

C’étaient en effet des voix, de petites voix argentines, comme celles qu’on entend dans les contes des fées. Et cela semblait en effet venir de l’intérieur du mur, qui n’était autre chose qu’une sorte de poteau en maçonnerie, sortant du sol, à la manière d’une asperge.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? demande Édouard en tournant autour.

— Ça, mon cher, c’est un obélisque enchanté, qui marque l’emplacement d’un palais de gnomes. Tu as certainement entendu parler de ces peuples-là ?