Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/295

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nard ; viens donc, viens ! » La lumière et les deux femmes avaient disparu. Léonard, resté seul, prit son parti.

« — Je vais aller chercher ma canne à épée et mes pistolets ! » dit-il très-haut, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre terrible, mais que je sentis émue en dessous.

« Il n’avait pas tourné les talons que j’allongeais vers la balle ma sarbacane. Hélas ! hélas ! elle était trop courte !

— Ah ! quel malheur ! » s’écria Émile en frappant ses deux mains et d’un accent si désolé, qu’on se mit à rire. Émile ne riait pas, lui. I] était tout rouge et suait sang et eau pour Victor. Celui-ci reprit :

« Je fus, comme Émile, désespéré, et me creusais la tête pour arriver à vaincre la difficulté, quand l’ennemi revint, armé d’une lanterne et d’un bäton. Je ne bougeai plus. J’étais assez haut dans l’arbre pour me flatter qu’à travers l’épais branchage il ne pût me voir. Il avança précautionneusement, jetant çà et là des lueurs de lanterne et des regards, tantôt soupçonneux, tantôt effarés. Et je l’entendais grommeler entre ses dents : — Ah ! si c’était lui ! si c’était lui, le bandit ! le polisson ! je le voudrais bien !

« Il vint sous mon arbre. (La respiration d’Émile resta suspendue.) II mit la lanterne jusque dans le branchage, et certes un Peau-Rouge y eût facilement reconnu les traces de mes pieds et des pattes du chien ; mais lui ne vit rien (Émile respira), et il alla fureter ailleurs.

« Ce que je craignais le plus maintenant, c’est qu’il allät jusqu’au mur et ne vit la corde. Alors j’étais perdu. Il se dirige en cffet de ce côté, et j’en étais déjà à me demander par quel moyen je me procurerais des ailes. Bah ! s’il n’eût pas monté la garde jusqu’au matin, s’il n’eût surtout appelé personne (car cela eût été le plus grave), j’aurais bien trouvé moyen de m’échapper. Mais il n’alla pas jusqu’au mur.

Ce fond du jardin, planté de grands arbres, était fort sombre, et je crois vraiment qu’il avait peur. Enfin, je le vis revenir assez promptement, n’ayant exploré le jardin que d’une façon fort incomplète. Il tourna encore autour de mon sapin quelque temps, projeta en divers sens sa lanterne et se décida à rentrer. « Le moment d’agir était revenu. Le sapin sur lequel j’étais monté était un jeune arbre, et je me trouvais tout près de la tête. Je me mis à le balancer de droite et de gauche dans le sens du toit. Il suivit l’impulsion, ses balancements devinrent de plus en plus forts, et enfin, à l’instant où il se rapprochait du toit, je pus, du bout de la sarbacane, pousser ma balle, qui ne se fit pas prier pour sauter à terre. Mais dans ce mouvement j’avais fait un effort. Crac ! la branche, trop faible, se brise sous mes pieds, et je dégringole, Heureusement, je puis me rattraper aux branches inférieures, et j’arrive à terre sans trop de mal. Fort bien ; mais le craquement de la branche s’était fait entendre. L’affreux caniche, débarrassé de son poivre par Sa tendre maîtresse, recommence à aboyer. L’ennemi va revenir ! Mon ballon ! Où est mon ballon ? Vainement je le cherche dans la direction où il est tombé. On ne voit rien à terre, et mes mains râclent inutilement la terre, O malheur ! Et la porte se rouvre, et je vois reparaître la lanterne, suivie de Marie et de Léonard ! I n’y avait pas de temps à perdre. Je me faufile derrière un buisson épais de petits pois très-haut montés, et je suis à reculons la marche de la lumière. Ils font ainsi sans me voir le tour du carré. Je n’avais qu’une peur, mais une peur horrible, c’est qu’ils rencontrassent mon ballon ! Alors ! Mais ils ne le virent pas ! Ils ne le virent pas ; mais je le vis bien, moi, tapi sous un groseillier, quand tomba sur lui la lueur de la lanterne. Ils rentrè-