Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/310

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tout le monde. Ils venaient donc me chercher, ou plutôt m’examiner jusque dans notre cour, et je ne pouvais faire un pas dans la prairie sans les voir aussitôt poindre par quelque passage de la haie et se diriger vers moi. Si je prenais à droite, ils allaient à droite. Si je tournais à gauche, ils viraient de bord immédiatement. Si je me mettais à courir, Ôtant vivement leurs sabots, et les prenant à la main, ils se lançaient sur mes traces. J’avais essayé d’en faire quelque chose ; car je ne déteste pas la compagnie, même celle des enfants plus jeunes que moi ; mais ils ne savaient pas ou ne voulaient pas jouer, ou plutôt je leur paraissais un être trop curieux pour qu’ils ne fussent pas avant tout occupés de me regarder. Enfin, car ils sont plus rusés qu’ils n’en ont l’air, ils voyaient bien qu’ils m’agaçaient et n’étaient pas fâchés de s’amuser de moi. Ils me jouaient aussi, à la sourdine, de mauvais tours. Par exemple, j’avais commencé, derrière la maison, du côté du pré, un superbe four pour des expériences ; il avait un demi-mètre de diamètre, et j’en. voulais faire un chef-d’œuvre de maçonnerie. Eh bien, je trouvais démoli le lendemain ce que j’avais fait la veille. Pierre avait rôdé par là.

« Un jour, sur un bruit d’ailes qui me semblait indiquer un nid, je m’enfonçai dans la haie qui borde le ruisseau. Je ne trouve pas de nid, mais deux pierres moussues disposées pour servir de siéges, et autour desquelles des troënes, des chèvrefeuilles et des églantiers pouvaient, avec un peu d’art, former un charmant bosquet. Je m’imaginai de le construire, et puis, quand il serait fait, d’y amener maman et Amine ; et je cours chercher ma serpette et je passe là toute ma récréation à tailler, courber les arbres et les assujettir en arceaux, avec des liens d’écorces. Le plus difficile étant fait, je remis le reste au jour suivant. Mais au matin, quand j’arrive, jugez de ma colère : tous les liens ont été coupés, les branches ont repris leur position primitive, et la belle mousse des pierres est toute arrachée !

« Puisque cette vilaine fièvre qu’on nomme la colère existe, il faut convenir qu’il y avait bien de quoi la produire. Comme une bête affamée à la recherche de sa proie, je pars à la recherche de mon agresseur. J’étais ivre de fureur. Il me semblait de bonne foi qu’il ne s’était jamais produit une action plus détestable dans le monde, et si j’avais été un empereur ou un proconsul, j’aurais probablement ordonné de mettre à la torture Île petit Pierré et le petit Paul. Oui, l’on comprend ces horribles choses dans la colère ; on est vraiment parent, en ces moments-là, des tyrans et dés bourreaux. Seulement ça passe vite, heureusement. Et, ce qui me fait croire que ces gens-là n’étaient pas heureux, c’est que la colère fait beaucoup souffrir.

« Je trouvai le petit Paul près du mur en brèche qui sépare les deux enclos. Il faut croire que ma figure était épouvantable ; car en me voyant arriver, sans que je lui eusse rien dit encore, il prit peur, et, ne se fiant pas à sa course, il monta pour m’échapper sur le mur et de là dans un cerisier, qui s’appuyait contre. Je l’y poursuivis en l’accablant d’injures, que je n’oserais répéter et que même je ne retrouverais plus. L’enfant, — il a trois ans de moins que moi, — criait de terreur et, montant toujours, me fuyait de branche en branche. Mais je l’eus atteint bientôt, et, lui serrant le bras à le faire crier :

« Ah ! misérable drôle, odieuse et malfaisante vermine, tu vas savoir ce qu’il en coûte pour venir abimer et détruire tout ce que je fais ! »

« Il criait, appelait son père, m’ordonnait de le laisser et m’injuriait, lui aussi,