Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/373

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Je retombai sous ma toile ; mais la honte avait remplacé la peur et ce phénomène eut lieu que d’un long moment je ne pensai plus à l’orage, et que lorsque j’y revins on n’entendait plus que ses derniers roulements, de plus en plus faibles. Et cependant je restais là, ayant fort envie d’en sortir ; mais retenu par la crainte d’attirer de nouveau sur moi l’attention des ouvrières, qui maintenant parlaient d’autre chose. Il y eut un mouvement de va et vient ; j’en profitai pour me faufiler en rampant vers la porte ; malheureusement, au moment où je me relevais, je fus aperçu, et de nouveaux quolibets et de nouveaux rires accompagnèrent ma fuite. Décidément, j’étais honteux de moi-même.

Il me fallait reprendre mon devoir abandonné ; lentement, à contre-cœur, je me rendis au cabinet de mon père, espérant ne pas l’y trouver, I] y était.

Je m’attendais à de nouveaux reproches. Il ne m’en adressa pas tout d’abord, me fit remettre au travail, et, ce fut seulement quand mon devoir fut fait et corrigé, qu’il me dit : « Causons un peu. »

Ce mot me fit peur, je ne doutais pas que cette causerie ne fût tout bonnement mon acte d’accusation, et je me tins immobile et roide devant mon père, en baissant le nez.

Ce ne furent point des remontrances qu’il m’adressa. Il ne me demanda plus de ressembler à Caton ; il m’’expliqua tout simplement comment se produisait le tonnerre, comment ceux qui en étaient frappés ne l’entendaient point ; qu’après avoir vu l’éclair, il n’y avait plus rien à craindre du bruit, et que par conséquent, il était absurde d’avoir peur en ce moment-là plus qu’à tout autre. Enfin, il me dit combien étaient rares les cas d’asphyxie par la foudre, que ces accidents venaient presque toujours d’imprudence, et que moyennant certaines précautions, ils n’étaient pas plus à craindre que ne l’est en passant dans la rue la chute d’une tuile ou d’une cheminée ; chose possible, après tout, mais au sujet de laquelle il serait insensé de se rendre malheureux, puisqu’il y a cent mille chances contre une que cela n’arrivera pas.

Je me rappelle très-bien que je n’étais pas du tout disposé un moment auparavant à profiter de ce que mon père aurait à me dire ; mais quand je vis qu’il me traitait en personne raisonnable, et non plus en liévre, je fus content et j’écoutai avec attention tout ce qu’il me dit. Et quand il m’assura que pour me guérir de mes folles terreurs il ne me faudrait qu’un peu de réflexion et de bonne volonté, et que je m’habituerais bien vite à n’avoir plus peur, je me sentis le cœur ému du désir d’essayer.

Cependant, je ne le dis point à mon père. Allons donc ! d’abord, il eût fallu parler, entendre ma propre voix, et puis, exprimer un sentiment, et surtout un bon ! Non ! non ! pas si brave ! Ce ne fut que par deux ou trois timides regards que je donnai lieu à mon père d’espérer que ses paroles n’avaient pas été perdues ; et, quand à Ja fin il me demanda :

— Eh bien, au prochain orage veux-tu que nous sortions ?

Ce fut seulement à la manière des magots de la Chine que je répondis : oui.

L’orage ne se fit pas attendre longtemps ; nous étions en juillet. Il eut lieu trois jours après ; je n’avais pas eu le temps d’oublier mes velléités de courage et ma promesse. Cela n’empêcha pas qu’au premier coup je n’eusse le cœur terrifié ; et c’est bien au contraire parce que je me les rappelais que ma première pensée fut : Si mon papa était sorti ? — Mais non, je le vis arriver presque aussitôt :

« Allons, me dit-il, je viens te chercher, tu sais nos conventions ? Nous allons au jardin. »