Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/374

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Et il me tendit la main. Je reculai d’épouvante.

« Mais, papa, balbutiai-je, c’est imprudent.

— Pas du tout, l’orage n’est pas fort, Écoute. Et puis, nous ne sommes pas deux pins de Norwége. Tu n’as pas un mètre et demi de haut ; je ne suis pas très-grand. La foudre ne s’apercevra pas même de notre présence. D’ailleurs, comme je suis le plus grand, c’est moi qui serais frappé. Allons, viens ; rappelle-toi que tu m’as promis. » Cela me fit de la peine que mon père eût l’air de croire que j’aurais voulu le voir frappé plutôt que moi ; mais je me gardai bien de le lui dire ; car, pour les gens timides, ce sont les bons sentiments qu’il leur est le plus difficile d’exprimer. Tout saisi, je suivis donc mon père, ou plutôt je me laissai traîner par lui au jardin, et, vraiment, j’avais bien peur ; mais je crois que j’étais plus étonné encore d’un pareil acte d’audace. Au moment où nous franchissions la porte, l’éclair embrasa le ciel et nous éblouit. Mes jambes fléchirent, et, pâle de peur, j’embrassai les genoux de mon père, en le suppliant de rentrer.

« Et ta parole, me dit-il. Tu ne seras donc jamais un homme ? »

Puis il ajouta :

« Tu sais pourtant qu’après l’éclair, il n’y a plus de danger. »

Ces deux arguments, peut-être bien surtout le dernier, me remirent sur mes jambes et je pus entendre, sans trop d’effroi, avec une sorte de curiosité même, ce roulement terrible, que je craignais tant, auparavant, de laisser pénétrer dans mes oreilles.

Nous marchions dans l’allée principale. En face de nous, le ciel était d’un noir rougeâtre, et l’éclair y traçait par moments des zigzags de feu.

« Vois, me dit mon père, quelle belle et vive lueur produit le combat de deux électricités, et quel immense espace elle illumine. Toi qui aimes tant le Panorama, y as-tu jamais rien vu d’aussi beau ? Eh bien, cette grande force, l’électricité, est si peu méchante, que l’homme, que le savant, qui veut tout voir et qui n’a pas peur, — en a fait un de ses serviteurs. Je te mènerai dans des ateliers où elle travaille. »

Je regardais mon père avec étonnement ; ce qu’il me disait là me paraissait si étrange, que ce fut presque sans y prendre garde que j’entendis un coup de tonnerre. « Dame, poursuivit-il en souriant, elle ne porte pas de casquette, ni de tablier de cuir ; mais ça ne l’empêche pas de faire plus d’ouvrage à elle toute seule que beaucoup d’ouvriers ensemble. On en a fait aussi un bon facteur-fée, qui, avec un fil de fer pour baguette, porte en une minute, à cent lieues et plus, la parole d’un ami à un ami, les affaires, les nouvelles. Grâce à elle, un jour, tous les hommes du globe pourront peut-être converser ensemble au même moment, comme on cause entre amis dans une même chambre. Tu vois qu’il ne s’agit que de connaître les gens. »

Mon papa me faisait admirer aussi la grande rapidité des nuages, l’étrange et douteuse lueur partout répandue, qui donnait aux choses un autre aspect, le frémissement des feuilles, les petits oiseaux, qui, eux, fort tranquilles, se roulaient dans le sable en étendant leurs ailes, impatients de la pluie qui allait tomber ; il me dit enfin que pour lui, il aimait l’orage comme une des plus grandes beautés de la nature. Tout en causant ainsi, nous avions fait deux fois le tour du jardin ; de nombreux coups de tonnerre avaient éclaté, et, quoique tout frémissant, j’avais fait bonne contenance. La pluie se mit à tomber avec. force ; nous rentrâmes.

— Eh bien ! tu le vois, nous ne sommes pas morts ? » me dit mon papa.