Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/67

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— Oui, sans doute, elle récompense comme elle punit.

— Je disais donc, Édouard que je veux avouer aux autres comme à vous que j’ai eu tort, et je les prierai de me rendre leur amitié, que désormais je priserai davantage. »

Amine, en effet, le soir, au diner, prit la parole et, non sans rougir un peu, fit l’aveu du tort qu’elle avait eu, convint avoir mérité les représailles qui lui avaient été infligées, et, déclarant que, bien avant le départ de ces demoiselles, elle regrettait déjà la société de ses amis, elle les pria d’oublier ce qui n’avait été de sa part qu’un excès de complaisance pour ses visiteuses, et non point un manque d’amitié.

La voix d’Amine à ces derniers mots s’était altérée. Alors, l’ainé de ses frères, Ernest, se leva, et vint l’embrasser en disant :

« Je suis bien content que tu prennes la chose comme ça ; car à présent c’est fini ; et moi aussi je t’assure, ça commençait à m’ennuyer joliment. Tu es une bonne fille ! »

Victor et Charles, émus de même du courage et de la franchise d’Amine, allèrent jusqu’à s’excuser de leurs taquineries. Jules déclara qu’il ne lui en voudrait plus jamais. Émile, lui, qui avait eu le plus gros chagrin, ne dit rien et ne bougea pas ; mais baissa la tête dans son assiette, au point que sa mère s’écria :

« Émile, mais tu mets de la sauce à tes cheveux ! — C’est qu’il pleurait, le pauvre garçon, et ce fut Amine, qui voyant cela, vint lui relever la tête, pour l’embrasser très-fort,.

— C’est bien, ma fille, dit M. Ledan. Voyez, enfants, que de chagrins, que de malentendus cruels nous nous épargnerions si nous savions reconnaître et avouer franchement nos torts. Au lieu de cela, on veut absolument paraître avoir raison, ce qui ne trompe personne, mais aigrit et excite contre vous ceux qui, bien convaincus au contraire qu’ils ont des reproches à vous adresser, veulent absolument de leur côté, vous le prouver à vous-même. Et c’est ainsi qu’on se combat quand on pourrait s’accorder, qu’on arrive à se détester et à se rendre la vie désagréable quand on pourrait s’aimer et se rendre heureux.

— Je vois, papa, répondit Amine, que tu es de l’avis d’Édouard, que nous ne pouvons pas mal faire sans nous préparer un mal ou un chagrin.

— Parfaitement. Quoi ! c’est Édouard qui dit cela ?

— Oui, et il appelle cette loi la justice des choses.

— Oh ! oh ! Édouard est donc un moraliste ?

— Ce n’est pas moi, dit Édouard en rougissant, c’est maman.

— Sans doute, reprit Amine ; mais enfin, Édouard, vous expliquez tout cela très-bien, et c’est grâce aux conseils que vous m’avez donnés, que je n’ai plus le cœur gonflé de chagrin et de rancune, ce qui fait très-mal en effet, et que nous voilà tous bons amis »

On parla beaucoup alors de la justice des choses, et chacun donna son avis.

« Moi, dit le pétulant Victor, je ne crois pas ça. Il m’est arrivé de faire des sottises… »

Et il s’arrêta comme cherchant dans ses souvenirs.

« Personne n’en doute, lui dit obligeamment Charles ; va donc.

— Eh bien, quand on ne s’en est pas aperçu, il ne m’est rien arrivé, et je n’y ai plus pensé.

— Peut-être, observa M. Ledan, est-ce parce que vous n’y avez plus pensé que vous n’en avez pas vu les conséquences ? »