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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/116

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elle pria maman de me laisser partir avec elle ; son mari devait être obligé de venir à son tour à Paris, une dizaine de jours plus tard, et me ramènerait ; leur fille serait bien contente de me connaître ; ils seraient heureux de m’avoir chez eux ; l’air des champs me ferait du bien ; enfin mille instances. Moi, bien qu’un peu étonnée de quitter papa et maman, j’avais grande envie de faire ce voyage. Mes parents y consentent et nous partons.

« Quand j’avais fait mes préparatifs, ma cousine m’avait dit :

« Vous savez, Adrienne, qu’il n’est pas besoin de toilette chez nous ? Vous allez à la campagne, chez des villageois. » Petit frère s’imagine peut-être que sur cet avis j’avais emballé seulement mes robes de tous les jours. Eh bien ! non, ç’avait été tout le contraire. — Des villageois, des gens qui n’ont jamais rien vu : ce doit être amusant de les éblouir. Cette idée m’avait chatouillé l’esprit, et j’emportai ma robe la plus nouvelle avec tous mes colifichets.

« Sur le soir, comme nous arrivions, le temps se couvre.

« — J’espère que le temps ne va pas changer, dit ma cousine ; ce serait bien fâcheux. »

« L’orage éclate au sortir du chemin de fer. Nous montons dans une patache qui fait eau de tous les côtés ; nous sommes trempées ; ma robe et mon chapeau sont gâtés ; ma cousine est désolée.

« Moi, je ne disais rien ; je pensais seulement que, n’ayant pour changer que ma plus belle robe, les villageois allaient être éblouis dès le lendemain.

« À la descente de la patache, deux personnes qu’au premier coup d’œil je ne distingue pas du vulgaire amassé autour de nous, viennent cependant nous embrasser, ma cousine et moi. Ce sont le mari et la fille de ma cousine. Le cousin a de gros sabots ; la petite cousine en a de petits. Elle porte un peignoir de toile grise, serré à la taille par une ceinture de cuir, et un grand chapeau de paille brune. Bien qu’elle n’ait pas douze ans, elle est aussi grande que moi, et paraît très-bonne enfant. Elle ne m’embrasse pas froidement, elle me saute au cou ; c’est fort gentil.

« En traversant les rues du village, nous recevons les saluts de trois ou quatre personnages, vêtus et chaussés comme le cousin, et qui doivent être comme lui des messieurs de l’endroit ; nous voyons se pencher aux vitres de leurs fenêtres trois ou quatre dames coiffées en cheveux. Tout le reste est en bure et en cornettes. On me regarde comme un événement, et si je rougis d’avoir mon chapeau en gouttière, au moins, je me promets une éclatante revanche pour le lendemain, avec mon chapeau de tulle à guirlande de roses.

« La maison est simple, mais vaste, avec son seul étage ; elle contient cinq ou six appartements de Paris. Puis, elle a un beau jardin et une basse-cour très-intéressante, remplie de toutes les bêtes possibles. Nous dinons ; on me choie ; on me dorlote ; on m’écoute. Je babille, je parle de Paris, et ma petite cousine, émerveillée, m’écoute avec des yeux aussi grands à eux tous seuls que le reste de son visage. À vrai dire, je peins Paris plus beau que jamais je ne l’ai vu. C’est ma ville, et il me semble que plus elle sera belle, grande et magnifique, plus mon importance grandire. Enfin, j’écrase un peu ces habitants de village, en poursuivant l’idée qui m’avait prise au départ.

« Le lendemain, ne pouvant reprendre ma robe de voyage gâtée par la pluie, je revêts la toilette déposée dans ma malle, et me voilà mise comme pour aller aux Champs-Élysées, un jour de beau temps. Ma cousine en me voyant jette un cri :