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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/117

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« — Bon Dieu ! où voulez-vous aller ainsi, Adrienne ?

« — Mais je n’ai pas d’autre robe.

« — Quoi ! vous n’avez rien apporté de plus simple ici ? Mais je vous avais dit…

« — Je comptais sans la pluie.

« — Mon enfant, c’est bien fâcheux. Je vous avais prévenue que la toilette était inutile… Et avec ce mauvais temps. Voyez… C’est un fait exprès ; il pleut à verse, et je crains bien que ça dure. Je vous attendais pour aller faire ma visite à la basse-cour ; mais c’est impossible maintenant. Asseyez-vous dans ce fauteuil. »

« C’est ce que je fis, en étalant ma belle robe et en prenant ma broderie. Ma cousine, qui avait un petit peignoir très-vieux, de toile brune, me quitta pour aller récolter les œufs pondus le matin et voir les poussins nouvellement éclos, et je regrettai de n’y pas aller aussi. Un moment après j’eus à subir les exclamations de mon cousin, fort étonné de ma vue, Quant à Caroline, elle me regarda d’un air tout ébahi, et puis tout déconcerté, tout triste, comme si elle se fût dit :

« — Eh bien ! moi qui pensais que nous nous amuserions ! »

« La pluie tombait toujours. L’après-midi, cependant, elle cessa un peu, et mon cousin, après avoir longtemps regardé le ciel d’un air douteux, proposa d’aller aux Grottes.

« — C’est impossible ! répondit ma cousine d’un air chagrin, Adrienne perdrait sa robe.

« — Voilà bien les Parisiennes, reprit son mari en grommelant. La toilette est tout et emporte tout.

« — Mais si vous repreniez votre robe de voyage, Adrienne ?

« — Oh ! je ne puis pas ; la pluie l’a toute tachée : elle a des raies noires, et puis mon chapeau est importable, et je ne pourrais pas avec une pareille robe mettre un chapeau neuf, »

« On ne me répondit rien ; mais je vis que ma toilette assombrissait tout le monde, et cela commença de me désenchanter fort. Je ne pus pas sortir de tout ce jour-là, pas même dans le jardin, où j’aurais gâté le bas de ma robe aux fleurs et aux herbes qui se penchaient, toutes chargées de pluie, des plates-bandes dans l’allée.

« Le lendemain, du moins, j’eus Île triomphe que j’avais ambitionné. Je traversai le village dans toute ma gloire, avec ma robe rose à petits volants, mon chapeau de tulle à guirlande de fleurs et ma mantille.

« — Il faut bien nous habiller pour ne pas trop faire remarquer Adrienne, avait dit ma cousine à sa fille ; et toutes deux, comme à regret, avaient quitté leur costume de tous les jours pour en prendre un autre, plus élégant, mais très-simple encore. Je fis sensation ; on se mit aux fenêtres pour me voir passer ; j’en étais un peu honteuse. Nous allions décidément aux Grottes. Mais, au sortir du village, voilà qu’un gros nuage noir s’avance contre nous. Après bien des hésitations et beaucoup de contrariété, il fallut revenir au logis, toujours à cause de ma toilette. Caroline était désolée.

« —— Quand même on se mouillerait un peu, disait-elle, en relevant bien nos robes… Que de fois nous avons été surpris par la pluie, et c’était plutôt amusant.

« — Qui, répondait sa mère, ce serait bien pour toi, qui n’as qu’une petite robe de perse, facile à laver, et un chapeau solide. Mais nous ne pouvons exposer Adrienne à perdre sa toilette de l’été. »

« Je voulus insister.

« — Votre mère, Adrienne, est économe, répondit ma cousine, et j’agis comme elle le ferait.

« — Alors, si le mauvais temps continue,