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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/118

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Adrienne ne verra pas du tout notre beau pays ?

« — Elle s’en consolera, dit de sa grosse voix le cousin. On ne peut pas aimer à la fois la toilette et la nature. »

« Tout cela me fit réfléchir, et je commençai fort à craindre d’avoir fait une sottise. Encore n’était-ce pas tout : au lieu d’emporter des bottines un peu déformées, j’en avais pris de neuves que j’avais à peine essayées et qui me faisaient mal aux pieds, si bien que je doutais de pouvoir faire une longue course et que je fus contente de rentrer.

« Le jour suivant, il plut davantage. Caroline se désolait ; moi, je commençais à m’ennuyer.

« Toute la semaine, les jours se suivirent et se ressemblèrent : le matin, il pleuvait très-fort ; l’après-midi, c’était un mélange d’ondées et de soleil, fort joli d’ailleurs, et qui, disait Caroline, n’aurait pas du tout empêché la promenade, si ce n’eût été ma robe et mon chapeau. Cette robe et ce chapeau, Caroline, après les avoir admirés, les détestait maintenant. Hélas ! je n’étais pas loin d’être de son avis. Ce rôle de Parisienne élégante, qu’il m’avait plu de jouer d’abord, commençait à m’être insupportable ; car enfin, je n’y récoltais qu’ennui.

« J’eus pourtant une consolation : ce furent les visites des dames de l’endroit, qui, elles du moins, témoignèrent pour ma toilette beaucoup d’admiration. Quant aux paysans, ils accouraient pour me voir passer, comme on regarde un spectacle, et ne m’appelaient que la Parisienne. C’est ce que j’avais désiré, Eh bien, cela ne m’’enchantait pas. Cette gloire me laissait livrée à beaucoup d’ennui. La plus grande partie des occupations et préoccupations de mes cousines étaient tournées vers les champs, la nature, la vie rurale : elles auraient voulu m’y associer, et je sentais que cela m’eût beaucoup intéressée ; mais comme cela était impossible, je les dérangeais plutôt. Quand j’’eus dit de Paris tout ce que j’en savais, et qu’elles-mêmes furent lasses d’en parler, la conversation tomba, et les journées furent très-longues. De jour en jour, ma corvée devenait plus forte de suivre dehors ma petite cousine, qui ne pouvait s’empêcher de sortir, tantôt pour ses fleurs, et tantôt pour ses poulets, ou pour ses lapins. Un jour, lasse à l’excès de ma cage, en voyant barbotter des canards dans la cour, je regrettai presque de ne pouvoir faire comme eux. Oh ! ma triste robe rose !

« Je veux te faire un portrait de ma simple et gentille cousine qui m’est resté dans la tête :

« Il s’agissait d’aller dans une ferme voisine faire une provision d’œufs et de beurre. La bonne n’avait pas le temps.

« — Je vais y aller, moi, » dit Caroline, et elle sortit aussitôt du salon.

« Il pleuvait très-fort et je ne pouvais comprendre qu’elle fût sortie, quand, une heure après, je vois passer dans la cour une leste paysanne, en sabots, jupes retroussées, cape de bure bleue au capuchon rabattu sur la tête, et portant au bras un panier couvert d’un linge blanc. Un instant après, la même paysanne se présente à la porte du salon.

« — Voulez-vous acheter du beurre, ma belle demoiselle ? » demande-t-elle en me faisant une révérence plongeon.

’était Caroline qui revenait de la ferme et qui, soulevant le linge de son panier, me montre les pains de beurre qu’elle était allée chercher. Qu’elle était gentille ainsi ! Ses yeux brillaient ; ses lèvres souriaient ; Son visage, sous le capuchon de bure, semblait plus fin, et elle me fit penser à ces fleurs des haies, qui sont plus gracieuses et plus jolies, quand la pluie les a semées de gouttes, où le soleil rit.