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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/119

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Oh ! que j’eus envie de faire comme elle ! et, laissant de côté toute vanité de toilette, de prendre ma robe foncée, des sabots, et d’aller avec elle courir les champs ! mais c’était bien tard ; car je partais le surlendemain, et je fus retenue par une fausse honte.

« Juste la veille de mon départ, enfin, il fit très-beau temps. On en profita pour se diriger du côté de la forêt. Caroline sautait de joie.

« — Il y a des fraises, me disait-elle.

« — Petite gourmande !

« — Oh ! ce n’est pas tant pour les manger ; mais c’est si agréable, de bonnes petites fraises qui viennent comme cela, sans jardinier, toutes seules ; et puis, elles sont plus jolies que les grosses, et plus odorantes aussi. Ensuite, il faut les chercher, et on les trouve ! c’est amusant ! Ah ! l’on va donc enfin se promener un peu ! Ce n’est pas trop tôt ! »

« Hélas ! la forêt était à plus d’une lieue de distance et mes bottines neuves me brisaient les pieds.

« — Vois donc, me disait Caroline, les beaux champs, les jolies petites roses sauvages, les beaux bluets ! »

« Elle sautillait, courait çà et là, comme une vraie bergeronnette, m’apportait des fleurs, et moi je suivais péniblement mon chemin, souffrant de plus en plus, jusqu’au moment où mes pieds gonflés me causèrent des douleurs presque intolérables.

« — Qu’avez-vous donc, Adrienne ? me dit ma cousine, vous voilà toute rouge et les yeux en pleurs. »

« Je dus lui avouer mon supplice.

« Elle ne put s’empêcher de hausser légèrement les épaules.

« — Quand on vient à la campagne, mon enfant, on prend des bottines avec lesquelles on puisse marcher. »

« Elle me fit asseoir alors sur un talus du chemin, et je retirai, non sans peine, mes bottines de mes pieds meurtris. Mon cousin regardait tout cela de l’air d’un homme qui perd patience.

« — Nous avons encore pour vingt minutes de chemin, dit-il, et il est clair qu’Adrienne ne peut pas achever cette course. Elle aura assez de mal pour revenir. Ma foi ! c’est désagréable !…

« — Vous allez continuer la promenade, Caroline et toi, dit sa femme. Pour moi, je reste avec Adrienne, et je la ramènerai.

« — Non ! non, m’écriai-je, si dépitée que j’en perdais le sens, je veux achever la promenade, dussé-je la faire pieds nus. Et tenez, vous allez voir… puisque les paysans marchent bien ainsi. »

« En parlant ainsi, je faisais glisser mes bas et je me mis à marcher pieds nus sur une bande de gazon qui bordait la route. Mes trois compagnons se mettent à rire. Figure-toi cette petite Parisienne en grande toilette, marchant pieds nus. Il faut croire que c’était grotesque ; car tandis que ma cousine essayait de reprendre son sérieux pour me gronder de ma folie, les rires de mon cousin et de Caroline devenaient presque convulsifs. Je vis bien que j’étais de plus en plus ridicule, et plus dépitée encore, j’allais m’arrêter — d’ailleurs, cette manière de marcher ne me semblait pas beaucoup moins difficile que l’autre, le contact de l’herbe me chatouillant fort désagréablement la plante des pieds — quand, tout à coup, je sens une douleur horrible et, jetant un cri perçant, je chancelle et j’ai peine à ne pas tomber. C’est une ronce qui traverse le gazon et sur laquelle mon pied s’est posé. En même temps, débouchent sur la route deux piétons qui viennent à nous.

« — C’est vraiment assez comme cela, Adrienne, dit sévèrement mon cousin. Il est temps de reprendre vos bas et vos bottines, et de rentrer à la maison. Il faut vous dire, mon enfant, qu’à la campagne,