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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/120

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on comprend mal l’excentricité. Nous ne faisons pas de toilettes à sensation, mais nous ne marchons pas pieds nus. »

« Penses-tu, petit frère, que j’étais assez mortifiée ? Je m’assis de nouveau sur le bord du chemin, ayant grand’peine à m’empêcher de pleurer, et là, piteusement, je repris mes chaussures, puis, non moins piteusement, bientôt après, le chemin du village. Ma cousine eut la bonté de m’offrir son bras et d’essayer de me consoler ; mais le regret de cette promenade manquée et celui d’avoir été si ridicule, outre la douleur que mes bottines continuaient de me causer, me firent de ce retour un supplice. Et les regards moqueurs des gens du village, qui semblaient se demander le motif de ce retour, et le devinaient à ma rougeur et à ma pénible démarche ! Enfin, je partis le lendemain, le cœur gros de n’avoir été pour ces bons parents qu’un embarras et une contrariété, eux qui m’avaient accueillie de grand cœur, et de ne leur laisser que de fâcheux souvenirs, moi qui les aimais. Pourtant, la bonne Caroline m’embrassa très-fort.

« — Tu reviendras, me dit-elle, et cette fois tu apporteras de vieilles chaussures et de vieilles robes, n’est-ce pas ? Alors nous nous amuserons bien.

« Je le lui ai promis. Mon cousin, avec lequel je suis revenue à Paris, a été moins bon que sa fille. Je désespère de moi tout à fait, et j’aurai de la peine à le faire revenir sur Son impression que je ne suis qu’une petite sotte prétentieuse. C’est en cette qualité qu’il m’a traitée, je l’ai bien vu, tout le long du chemin. À notre arrivée à Paris, quand mon père et maman me demandèrent si je m’étais bien amusée, et si j’avais bien couru les champs, ce fut mon cousin qui se chargea de répondre ; il dit brusquement :

« — Pas du tout.

« Là-dessus, explications.

« Maman, en me regardant, eut un petit haussement d’épaules qui me fit plus de peine que cent reproches, et mon père dit :

« — Comment donc ! Lorsque Adrienne vient à la campagne avec nous, à Meudon ou à Fontenay, elle est cependant intrépide.

« — Peut-être, répondit le cousin, lui plaît-il d’être campagnarde à Paris et Parisienne à la campagne, »

« Je trouvais que mon cousin se permettait un peu trop de faire de l’esprit à mes dépens, et je m’esquivai, mais j’eus le temps d’entendre la réponse de mon père :

« — Eh bien, je ne croyais pas ma fille si sotte.

« Tu crois que c’est tout ? Paul. Dans la soirée vint M. Lecomte qui, tu le sais, est de l’Orléanais, où il passe deux mois tous les ans, et qui aime tant ce pays. Il venait voir mon Cousin.

« — Eh bien, mademoiselle Adrienne, vous avez vu notre pays ? vous avez dû bien vous plaire là-bas ?

« — Oui, certainement, » balbutiai-je.

« Mon père et mon cousin furent généreux ; ils gardèrent le silence. Mais M. Lecomte était trop heureux de pourvoir parler de l’Orléanais pour s’arrêter si vite.

« — Avez-vous vu les Grottes ?

« — Non, » répondis-je ; mais si bas qu’il crut entendre oui, n’en pouvant douter d’ailleurs.

« Et alors le voilà me rappelant tel ou tel détail, et passant en revue toutes les beautés de ces grottes, en répétant sans cesse : Vous savez ? à quoi je ne disais rien ; mais il allait tout de même. Puis le voilà qui passe dans la forêt.

« — Et la forêt ! ah ! la forêt !… Vous savez ? l’avenue des sangliers, le rond de la biche, les allées-berceaux, et cet admirable point de vue… Ah ! vraiment, il faut avoir vu ça. Comme ça reste dans le souvenir ! M’est-ce pas ?