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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/150

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bien le plus débilitant qui se pût voir il n’avait pas seulement perdu le caractère d’Isoline, mais sa santé ; des excès alternatifs d’abstinence et d’intempérance avaient gâté l’estomac de cette malheureuse enfant. Il s’en fallut de peu que cette inintelligence de ce qui pouvait lui être permis et de ce qui eût dû lui être interdit lui coutàt la vie. Elle fit une maladie grave. Tous les médecins de Paris furent appelés l’un après l’autre ; M. et M"° Grandin perdaient la tête. Isoline refusait tous les remèdes et déjouait par ses caprices toutes les précautions. Elle devint si malade qu’on la crut perdue. Cédant aux supplications de M. Grandin, un homme éminent dans la science médicale consent à venir au chevet de la malade. Il constate le danger, mais donne de l’espoir et fait son ordonnance. Il s’agissait de plusieurs potions à avaler.

« — Elle ne le voudra jamais, » disait M. Grandin, en s’arrachant les cheveux.

« Un peu surpris, tout en haussant les épaules, le savant s’ingénie et met le médicament en bonbons, de l’aspect le plus séduisant.

« Quand on les apporta j’étais là, et j’avoue que malgré la gravité de la situation, le rire faillit me prendre devant une pareille scène. Mme Grandin se lève aussitôt, et marche avec agitation dans la chambre. Isoline, heureusement, n’y fait pas encore attention. Le père s’approche, offre les bonbons dans une jolie boîte de chez Boissier, dit que c’est une invention toute nouvelle d’un des meilleurs confiseurs de Paris. L’enfant regarde, daigne allonger la main, et porter à sa bouche le médicament déguisé. Mme Grandin change de couleur, pousse un grand soupir, et s’approche du lit en donnant les marques du plus grand émoi. Isoline fixe les yeux sur sa mère et devient inquiète,

« — N’est-ce pas que c’est rafraîchissant, mon amour ? — Prends-en encore un, » dit le père, et l’enfant ouvre machinalement la bouche pour recevoir le nouveau bonbon que M. Grandin porte à ses lèvres.

« — Ah ! pauvre petite ! Chère enfant ! soupire Mme Grandin en posant la main sur son cœur et en respirant comme suffoquée.

« — Ce sont des pilules ! s’écrie Isoline qui, en voyant l’émoi de sa mère, a tout compris ; je n’en veux pas ! je n’en veux pas ! c’est abominable !… ce n’est pas de vrais bonbons, on m’a trompée ! »

« Elle les rejeta presque aussitôt.

« En l’absence de tous soins, après plus d’une rechute, sa jeunesse cependant prit le dessus sur la maladie et la sauva.

« Je n’en finirais pas de vous rapporter tous les traits de ce caractère, qui vous le montreraient déviant de toutes les joies vraies et simples, à la recherche des satisfactions les plus fausses et les plus stériles.

« Un jour (nous étions jeunes filles alors) elle allait au bal, je la vis une heure auparavant. On n’avait pas encore apporté sa toilette ; elle craignait de ne pas la recevoir et s’en montrait furieuse.

« — Pourquoi vous tant tourmenter ? lui dis-je. Vous avez de charmantes robes. Prenez celle de gaze bleue qui l’autre soir vous allait si bien. »

Elle me jeta un coup d’œil d’indignation.

« — Une pareille loque ! s’écria-t-elle ; vous ne savez donc pas que les demoiselles de X… seront là ? et je ne tiens à ce bal que pour les écraser par ma toilette ! Comment donc ! elles s’étaient permis d’être presque aussi bien mises que moi l’autre jour ! »

« J’avais dix-huit ans. Je trouvais alors beaucoup de plaisir à être aussi jolie que je pouvais l’être, dans une mise de fraîcheur et de bon goût ; mais le luxe de la richesse, qui n’ajoute rien à la beauté, ne m’importait guère. Aussi fus-je étonnée.